Martial Solal dans tous ses états et éclats (de rire, de colère…)
Allégrement, Martial Solal, pianiste, compositeur, chef d’orchestre, va vers son centième anniversaire – il est né à Alger en 1927. Centenaire ! Un choc ! Pour lui sans doute, pour nous aussi. Martial est présent à chaque moment de la vie du jazz en France comme aux États-Unis, depuis plus de 75 ans. Un bail. Il a dû se demander – jusque là il avait refusé de l’écrire – quelle signification peut avoir une « autobiographie ? Le signe de la disparition prochaine ? La reconnaissance publique sinon du public ? L’abandon du piano pour l’ordinateur ? Est-ce le début d’une future production littéraire comme a pu le faire André Hodeir avec plus ou moins de bonheur ? Signer une autobiographie ouvre la boîte de Pandore des questions.
Une lecture préalable est recommandée, permettant de tracer quelques jalons sur sa vie, ses réalisations et, surtout son rapport amoureux, passionné au piano, « Ma vie sur un tabouret » (Actes Sud, entretiens menés par Franck Médioni, 2008), qui fut présenté , par l’éditeur, comme une « autobiographie » . Une fausse-vraie ou vraie-fausse qui fait du « je » un jeu – sans vraiment jeux de mots – entre Martial Solal et Franck Médioni. Miroir de la biographie d’un être vivant interrogé.
Légitimement, on peut se demander s’il était raisonnable de doubler cette vie sur un tabouret d’une autre manière de se raconter.
« Mon siècle de jazz », un titre qui tient de l’évidence n faisant référence à l’âge mais l’auteur explique qu’il a découvert le jazz à 15 ans…, ne fait pas double emploi. Le ton n’est pas le même, le tempo non plus. Il faut prendre ce livre comme une nouvelle tentative d’autobiographie, pour se reconnaître, se situer, dresser un des portraits de soi. Martial Solal ne veut pas se répéter, aussi, comme dans beaucoup de ses compositions, en virtuose du piano qu’il est, il casse le rythme, fait des allers-retours dans le passé, revient sur son compagnonnage avec le « Club Saint Germain » – il y sera le pianiste « maison » -, explique ses premières influences et, en passant, règle quelques comptes.
C’est un peu une histoire du jazz en France – à Paris bien sur – de la fin de la guerre à quasiment aujourd’hui. Le jazz en France a vécu une période pleine de créations via Henri Renaud, Bobby Jaspar, Sadi et beaucoup d’autres. Martial Solal s’est imposé comme compositeur avec qui il fallait compter mais aussi par ses structurations étranges notamment un trio avec deux contrebasses. Il parle aussi de sa vie en couple, de sa famille…
Il raconte, avec beaucoup de verve, ses voyages aux États-Unis – il se produira au Village Vanguard, au festival de Newport -, sa rencontre avec Joaquim Kühn qui le force à jouer « Free » et bien d’autre chose encore comme ses premières années de galère. Savait-on qu’il avait failli devenir citoyen américain, la reconnaissance du public avait commencé dans ce pays, avant la France.
Sans doute , Martial Solal n’avait pas besoin de cette autobiographie pour être reconnu comme un créateur hors norme mais elle participe de sa légende pour l’entendre encore et toujours. Ses compositions pour grand orchestre, comme celles de Hodeir ont un côté hermétiques qui en font des mystères , un gage de survie.
Vous souvenez-vous de « A bout de souffle », de « Deux hommes dans Manhattan » ? Il faut revoir ces grands films pour goûter en même temps la musique de Martial Solal. Plongez-vous dans sa musique en lisant cette autobiographie, c’est un bain nécessaire. Trois génies du jazz sont nés en France, Michel Warlop, Django Reinhardt et… Martial Solal. Tous les trois ont en commun de s’ennuyer très vite….
Nicolas Béniès
« Mon siècle de jazz », Martial Solal, Frémeaux et associés, préface d’Alain Gerber.