Jazz. Un train endormi charrie les mémoires de l’oubli.

Voyager de nuit

Un train file. Vers quelle destination ? Aucun voyageur ne le sait. Ils partent. Le reste fait partie des rêves éveillés. Les arrêts, les gares sont diverses comme les multitudes cultures du monde, de ces musiques aux racines spécifiques qui arrivent quelque fois au statut de standard pour un ou plusieurs paysages. Elles dessinent un univers d’espoirs, de luttes, de combats, d’émotions souvent et toujours la mémoire pour faire pousser une nouvelle semence, en les bousculant, en leur faisant rencontrer d’autres univers.
La rencontre de quatre musiciens, qui se connaissent bien, est un creuset pour créer les atmosphères des différentes étapes proposées. François Chesnel, piano attrapant la queue des comètes du jazz, se mélangeant à la contrebasse de Fred Chiffoleau comme de la batterie de Fred Pasqua pour construire une rythmique ne craignant pas de s’échapper vers d’autres horizons par une complicité sympathique qui permet toutes les sorties de rail. Le quatrième personnage de ces nouvelles formant comme un roman, Yoann Loustalot, trompettiste et bugliste plein des sons des musiciens qui l’ont précédés pour réaliser une synthèse d’un son qui doit à tous pour ne tenir de personne.
Le quartet conduit, à travers toutes les teintes du bleu-noir ce « Sleeper Train ». Un train fait de tous les rêves d’une musique universelle, du bonheur pour faire pièce aux inégalités, aux racismes et trouver des voies de dialogue entre les cultures. La réussite c’est aussi celle du jazz capable de fédérer touts les affluents pour en faire un grand fleuve charriant les émotions du monde.
Montez dans un wagon, au hasard. Laissez-vous porter par vos propres rêves.
Nicolas Béniès
« Sleeper Train », Chesnel/Chiffoleau/Pasqua/Loustalot, Bruit Chic/Inouïes distribution

Pour Don Ayler

Albert Ayler, saxophoniste, est la référence connue du free jazz. Au grand dam de sa mère qui craignait pour son cadet, il avait engagé dans son groupe son frère Donald, trompettiste et compositeur. L’assassinat d’Albert, la volonté de rayer de la carte du jazz, la révolution du free a conduit à la disparition progressive dans les mémoires de Don.
Raymond Boni, seul à la guitare acoustique, a voulu le titrer de l’ombre envahissante de l’oubli. « Mémoire de l’oubli », un titre en forme de pied de nez et sous titré « Images for Donald Ayler » fait montre d’abord de la virtuosité du guitariste et offre la possibilité de se rendre compte du talent de compositeur. Le premier – et dernier – thème : « One day Malia will hear the solitary walker whisper », un jour Malia entendit le chantonnement du marcheur solitaire, dessine une silhouette encore floue, une figure en forme d’autoportrait du trompettiste.
En peintre, Boni le fait renaître en construisant des images diverses qui n’enferment pas Don Ayler dans un seul tableau mais l’installe dans sa complexité de compositeur. Boni donne ainsi l’envie de le réécouter, de le réhabiliter et de le convier, au-delà de la mort, à de nouvelles bacchanales. Joe McPhee, dans un texte qui n’est pas de pochette, participe au travail de mémoire avec une émotion qui fait mouche.
Une musique aride, ardue tout en «étant une musique d’espoir, façonnée par tous nos combats pour une société plus juste. Il faut entendre Raymond Boni parlant de Don Ayler et entendre le trompettiste pour faire pièce à tous ces oiseaux postmodernes qui ne savent plus ce que révolte veut dire.
« Mémoire de l’oubli », Raymond Boni, Mazeto Square