Souvenir de Jean-François Jenny Clark, contrebassiste de jazz.

J’avais écrit cet article en novembre 1998 :

Jean-François Jenny-Clark est mort, en son domicile parisien des suites d’un cancer. Il avait 54 ans…

Au Revoir, JF
Un ami s’en est allé qui, pour être lointain, n’en était pas moins proche. Il ne se passait pas de jours sans que j’aie de ses nouvelles. Sa basse allait bien…
Il était un de ceux avec qui j’avais cheminé dans ces années 60, pleines de bruit et de fureurs,
Avec qui le silence s’installait pour suivre ses lignes de basse précises et fugitives comme un cœur qui se donne sans retenue.
Parler de « JF » – plus facile que JFJC -, c’est parler du jazz, de la musique contemporaine, de la France, de mai 68 – il était au Conservatoire -, des combats pour la vie,
C’est parler des trios, des jazzmen, de nous.

JF était tellement de notre monde. Naturellement. Sans emphase. Sans mots. Mais sa contrebasse. Celle là, il était né avec quasiment. Il était tellement scandalisé par ce monde, l’autre, celui d’en face, marchant sur la tête. Il ne pouvait l’accepter.
Je ne sais ce qui me manquera le plus. Sa basse, capable de toutes les émotions sans le montrer, sans un clin d’œil. Il ne voulait qu’on dise qu’il avait l’oreille absolue, manière de timide, mais aussi forme d’élégance pour cacher son travail. Ou cette tête chenue d’adolescent sur qui le temps ne semble pas avoir de prise. Il sentait, pourtant, le temps se rétrécir. Il savait qu’il n’avait plus le temps. Il avait décidé de changer, une fois encore. Et il avait changé pour cet album Mercury (distribué par PolyGram), « Triple Entente » avec ses complices de 15 ans, Joachim Kühn et Daniel Humair. Ensemble pour OWL, 15 ans avant, ils avaient enregistré cet « Easy To Read » qui sonnait le glas de l’association privilégiée avec Aldo Romano, avec qui il avait commencé au Chat qui pêche en ces années 60, avant de rencontrer Jackie McLean, Don Cherry et Gato Barbieri.
J’aimais ces yeux faussement naïfs, d’un bleu délavé comme si les blues s’y étaient frottés, capables d’une innocence jamais feinte et d’un enthousiasme réel. Comme cet accent indéfinissable, résultat dialectique d’une naissance à Toulouse dans une famille franco-anglaise.
Il avait lutté contre le cancer, comme il avait voulu contre la pauvreté, contre ce monde hideux.
Ton fantôme, JF, comme d’autres, restera dans mon quotidien. Tant que je vivrai, tu vivras aussi dans ma mémoire, dans mon souvenir. D’autres ensuite prendront ma place. Le génie est forcément éternel…
Nicolas BÉNIES.