Polars « historiques »
L’actualité éditoriale mêle rééditions et nouveautés pour nous faire sentir le poids de l’Histoire, des mémoires. La France se mêle au Japon et à l’Albanie poour éviter l’oubli et faire ressentir, via les codes du polar, les contraintes qui pèsent sur les individus et l’ascension des moins sensibles à la morale, à l' »thique. Jean Meckert écrit sur les illusions perdues de la Résistance, de ces copquins qui se hissent au premier plan sans avoir participé au combat, de ces collabos qui reprennent le haut du pavé. Inacceptable ! Seichô Matsumoto se penche sur les vies bouleversées par la guerre, par les bombardement américains qui obligent, pour la survie, à transgresser les règles et Danü Danquigny décrit le passage de l’Albanie de la dictature au néolibéralisme, autre forme de dictature. Dans chaque pays, la « victoire » des truands et de la corruption généralisée.
il fallait un peu de rire, de revanche dans ce monde grisâtre. Hannelore Cayre, via la lutte des femmes, nous en fait le cadeau via la reconnaissance de paternité remontant à… 1871 !
L’après seconde guerre : illusions perdues
Jean Meckert – Jean Amila pour la Série Noire – fait partie des grands auteurs de romans noirs. « Les coups », publié en 1940 a été salué par toute la critique à commencer par Queneau. « Nous avons les mains rouges », 7e volume de ses œuvres, met en scène, en 1947, un groupe de Résistants qui refuse les injustices et les profiteurs. Il se fait justicier en chassant les anciens collaborateurs. Un document, en même temps qu’un vrai polar, sur cette période troublée où tout semble possible alors que, déjà, s’éloignent les rêves d’un autre monde.
Et au Japon : les traces de l’occupation américaine
Seichô Matsumoto, né en 1909, s’inscrit dans la lignée d’un Simenon pour ses enquêtes qui s’inscrivent dans l’Histoire et souvent des histoires oubliées, enfouies qui refont surface pour conduire aux meurtres et au désespoir. « Le point zéro » se situe à la fin des années cinquante à Tokyo et fait référence à la prostitution de toutes ces jeunes filles qui se trouvent, à la fin de la guerre, sans famille et sans ressources. Elles arriveront à faire leur vie en cachant cette période qui ne fait pas partie des livres d’Histoire. Pour voir le Japon et les conséquences de la guerre. Une découverte.
L’Albanie entre hier et aujourd’hui ?
Un petit pays longtemps dominé par la figure du grand timonier Enver Hoxha. Il meurt en 1985 et le régime se perpétue jusqu’en 1993. S’ouvre alors une période « de transition vers le néo libéralisme » qui fait éclater tous les codes, toute moralité, toutes les structures, tous les pouvoirs. C’est le temps des cliques et des mafias. « Les aigles endormis », premier roman de Danü Danquigny, a comme toile de fond cette Histoire qui ne se termine pas 20 ans après le retour du narrateur dans son pays natal après avoir vécu en France. Les « nouveaux riches » se sont installés, les inégalités se sont creusées, la corruption tient le haut du pavé et pervertit la sphère politique. Ne reste-t-il que les armes pour faire le ménage ?
La France de 2016 héritière en partie de celle de 1870 ?
Prétexte à une ballade dans les arbres généalogiques d’une grande famille riche via un enfant illégitime reconnu par le fils parti à la guerre de 1871. Hannelore Cayre avec « Richesse oblige » dresse le portrait de cette France de nantis qui se croient au-dessus des lois au 19e comme aujourd’hui. Le mépris des pauvres, l’antisémitisme sont constitutifs de cette caste. Pour conserver leur richesse, tous les coups sont permis. Mais il faut compter sur les justicières, surtout lorsqu’elle s’appelle Blanche de Rigny – un nom étrange dans sa famille -, pour donner des coups de pied dans la fourmilière qui ne sait plus comment répondre. Lorsque la généalogie prend la figure de la revanche sociale, tout est possible.
Nicolas Béniès
« Nous avons les mains rouges », Jean Meckert, Éditions Joëlle Losfeld ; « Le point zéro », Seichô Matsumoto, traduit par Dominique et Frank Sylvain, 10/18 ; « Les aigles endormis », Danü Danquigny, Série Noire/Gallimard ; « Richesse oblige », Hannelore Cayre, Métailié/Noir.