Université populaire JAZZ 2019-2020

Bonjour,
Pour cette année, comme annoncé, nous restons à New York City, ville-monde qui, comme le dit la chanson, ne dort jamais. Le film de Martin Scorcese « New York » a su saisir la Ville et, dans le même mouvement, faire comprendre la différence entre la variété – incarnée de très belle façon par Liza Minnelli qui sait émouvoir – et le jazz, l’œuvre d’art. Le thème de New York, New York traverse tout le film. La différence est subtile mais elle existe entre le saxophone ténor et l’interprétation de Liza. Son personnage s’explique en disant à De Niro qui incarne Georgie Auld qu’elle a transformé les accords. Il fallait, dans le sens fort du terme, que la chanson soit audible par le plus grand nombre.

Pour débuter l’année, le 6 novembre, je vous ai fait faire un pas de côté. Le 80e anniversaire du label Blue Note – commencé l’an dernier – permet de soulever des tombes creusées du vivant des musicien-ne-s. C’est le cas souvent des femmes. Blue Note a aussi enregistré deux musiciens – des hommes ! – ignorés de leur vivant et redécouverts tardivement.
C’est le cas de Herbie Nichols, pianiste et compositeur brièvement aperçu l’an dernier avec « The Lady Sings the Blues » repris par Billie Holiday qui a fait de Nichols un inconnu célèbre. Il est mort d’une leucémie le 12 avril 1963 – 44 ans – et a enregistré sous son nom en tout et pour tout trois albums chez Blue Note et un autre pour le label Bethlehem Records. Quelques enregistrements préalables pour Savoy et la discographie s’arrête là.
Blue Note est donc le label principal. Alfred Lion a voulu absolument l’enregistrer malgré l’absence de ventes. Il a eu raison.
Le free jazz a (re)découvert Herbie Nichols par l’intermédiaire du tromboniste Roswell Rudd qui a joué un rôle majeur. Il a écrit le dossier de la réédition des Blue Note par la petite firme « Mosaic Records » créée par Charlie Lourie et Michael Cuscuna, avec toutes les infos nécessaire sur cet OVNI que fut le compositeur/poète. Certains critiques ont sous estimé l’apport de Nichols par une écoute anachronique, celle de leurs oreilles contemporaines sans remettre le pianiste dans le contexte de l’époque de ces années 1955-1956.
En 1955, le trio qu’il constitue est composé de Al McKibbon à la contrebasse et de Art Blakey à la batterie, Blakey qui fut aussi le compagnon de THELONIOUS MONK et sera, comme nous l’avons entendu l’an dernier, le co-créateur des Jazz Messengers en compagnie de Horace Silver pour en suite se séparer.
Pour 1956, ce sera Teddy Kotick et Max Roach qui aura une place plus importante d’interlocuteur principal du pianiste. Herbie participe de la libération de la batterie pensé comme un instrument soliste à part entière.
Deux enregistrements de avril 1956 (que je ne vous ai pas fait écouter)

« The Spinning song »

et « Riff primitif »

Sur Herbie Nichols j’avais écrit un article paru dans Jazz Hot il y a bien longtemps.

Le deuxième oublié est saxophoniste ténor. « Tina » Brooks ainsi dénommé à cause de sa petite taille. Tina est ici dérivé de « Tyni » – minuscule – ou d’un personnage de la taille d’un élève de 10e, l’équivalent de la 5e ou de la 4e en collège. il faut prononcer le « i » à la française soit « ee » en américain. ce n’est pas un pronom mais un surnom du né Harold pour l’état-civil.
De petite taille et Noir les déboires n’ont sans doute pas manqué. Le résultat un son de saxophone très ancré dans le RnB et les orchestres latino. Tina projette le son et a tendance à écraser les autres participants. Pour une « Blowin session » comme celle que j’ai fait écouter vers la fin, ce « Street Singer » qu’il faut réécouter, c’est particulièrement net. En résulte une sensation d’ennui des soli qui se succèdent.
Pour des raisons indéterminées, Blue Note – qui publie beaucoup dans ces années 50-60 – laissera de côté des albums pourtant construits signés par le saxophoniste. Il faut dire que le centre d’intérêt principal de Alfred Lion est Jimmy Smith, l’organiste et le contexte change dans ces années 60. Tina Brooks sera l’ignoré de ces années. Ensuite il sombrera dans Coltrane incapable de jouer comme Tina Brooks – tous les autres subiront aussi cette influence désastreuse lorsqu’elle n’est pas dominée. Il disparaîtra en 1974.
Deux exemples avec Freddie Hubbard, trompettiste venant de Indianapolis. Il a 20 ans et veut croquer le jazz à pleines dents. Son premier album qu’il signe Hubbard, c’est avec Tina Brooks, « Open Sesame »
« Gypsie Blues », composition du Harold, fait partie de cet album du 19 juin 1960. McCoy Tyner est le pianiste, Sam Jones le contrebassiste et Clifford Jarvis le batteur.

et »True Blues » de la même année, Duke Jordan remplace McCoy et Art Taylor Clifford Jarvis

Nicolas Béniès

La suite pour préciser un peru le programme….

PS En intro je vous ai fait écouter une version de « Autumn in New York » sans vous dire que l’enregistrement était celui de la harpiste Corky Hale.

En 1994, j’avais écrit l’article ci-après :

Tina Brooks, Le retour 1. (sans retour 2 pour le moment…)

Blue Note, distribué par EMI, nous gratifie d’une réédition nécessaire pour combler un des vides les plus béants de l’histoire du jazz. Les saxophonistes de cette période, celle où Coltrane commence à régner en maître, sont trop souvent relégués dans les oubliettes. C’est le cas de Hank Mobley actuellement. Ce fut toujours le cas d’Harold Floyd Brooks pour l’état-civil, dit Tina pour l’éternité. Ike Quebec l’avait fait découvrir à Lion et Wolff qui avaient décidé de l’enregistrer. Quelques-uns uns de ses albums ne sont jamais sortis à l’époque, pour des raisons indéterminées. Il a fallu attendre que Lourie et Cuscuna sortent un coffret Mosaic pour permettre sa redécouverte, encore que le «re » soit de trop.
Il était né le 7 juin 1932 à Fayetteville en Caroline du Nord. Son frère aîné, Bubba – qui lui joue encore – lui donna ses premières leçons. Il en a conservé sa vie durant une prédilection pour les phrasés issus du Rhythm & Blues, tout en les poussant à leurs paroxysmes. Une façon de lutter contre sa petite taille, dont est issu son pseudo, Tina pour Teeny, minuscule. Il travaillera, à New York, dans des orchestres « Latins » et il en restera aussi quelque chose dans son jeu. Il synthétisera toutes ses influences, sans oublier celles de Lester Young et de Charlie Parker, qui, par l’étrange alchimie de sa personnalité deviendra un phrasé reconnaissable entre tous. Il entrera dans une étrange communion avec le saxophoniste alto Jackie McLean – qui voulait être ténor – à la fois par leur rencontre dans la pièce « The Connection » et par cette même volonté de tracer leur propre chemin. Leur phrasé, à cette époque, est proche du cri, du cri de révolte, du rire libérateur comme du cri de la souffrance la plus brûlante. C’est ce cri là qui nous touche encore aujourd’hui.
La réédition dont il est question, « Back To The Tracks », date de septembre/octobre 1960, et n’avait, justement, pas été édité à l’époque. Pour ce chanteur de rue, Street Singer, il est en compagnie de McLean, et la similitude de leur sensibilité saute aux oreilles. Une sensibilité d’écorché vif. Il fut moins une pour que McLean suive le même destin que Tina. Il disparaîtra dans le flot de ces années 60, de braises enflammables – il n’enregistrera plus après 1961, personne ne sait comment il jouait à cette époque -, et mourra le 13 août 1974. Cette réédition est comme un anniversaire…
Nicolas BENIES.