Pianiste de notre temps et de tous les autres.
Vijay Iyer a défrayé la chronique. Reconnu, dés 2009 avec la parution de « Historicity », il a cumulé les récompenses. A priori, il semble suspect de ce fait. A tort. L’écoute de cet album réalisé en trio – Stephen Crump à la basse et Marcus Gilmore à la batterie – démontre qu’il a su synthétiser les apports de Bill Evans, Keith Jarrett, Paul Bley pour ne citer que les principales influences qui sautent aux oreilles. Dans le même mouvement il a su aussi digérer l’air du temps – le Zeitgeist – pour offrir une musique en phase avec nos émotions qu’il transcende allègrement. Les compositeurs qu’il réunit vont de Stevie Wonder à Leonard Bernstein – « Somewhere » qui fut repris par Bill Dixon et Archie Shepp en 1964 – en passant par Julius Hemphill et Andrew Hill sans oublier Vijay Iyer lui-même. Ce pourrait être un pachwork sans l’art profond du pianiste qui sait admirablement construire son univers.
« Accelerando » (2012) est une affirmation de l’art de ce trio qui sait non seulement accélérer le temps sinon le tempo mais renouer avec la danse tout en faisant la part belle aux influences du free jazz via l’art ensemble, Wadada Leo Smith et Henry Threadgill dont une composition est reprise ici. Il n’oublie ni Miles Davis – « Human Nature » – ni Herbie Nichols, pianiste et compositeur trop souvent laissé de côté qui a construit une œuvre originale, ni… Duke Ellington. Atmosphère lourde comme les menaces qui pèsent sur notre monde et légères comme les danses corps à corps pour se libérer de toutes les pesanteurs, de tout les prêt à porter musicaux. Toutes les mémoires du jazz se donnent rendez-vous dans cette musique du présent.
« Solo » (2010) comme son nom l’indique permet de faire une nouvelle expérience en visitant les références qui agitent les créations de Vijay Iyer. Il reprend « Human Nature », manière de se situer dans la lignée de Miles Davis dernière période pour élargir la sphère des standards. Duke Ellington sollicité deux fois, Monk bien évidemment – pour parfaire la sphère de ses influences – pour aller vers une composition de Steve Coleman en passant par un standard éternel, « Darn That Dream » et des thèmes du pianiste lui-même.
Pourquoi parler de ces trois albums ? ACT – le label qui les a publiés en leur temps- vient de faire paraître un coffret « Essentials » – on ne saurait mieux dire pour une fois – les reprenant pour découvrir ou redécouvrir ce pianiste essentiel.
Nicolas Béniès
« Essentials », Vijay Iyer, coffret de trois CD, ACT