Redevenir sauvage.
Le jazz souffre d’une image étrange dans notre société aseptisée, atomisée qui n’accepte plus ni la violence, ni la sauvagerie et voudrait que toutes les relations humaines soient policées, ordonnées, polies – dans tous les sens du terme. « Musique d’intello » dit-on du jazz, musique emmerdante en est la traduction, « qui prend la tête ». Pourtant, le jazz a été qualifié dans un passé pas si lointain, de « musique de sauvages », perturbant nos chères têtes blondes. Des ligues se sont élevées contre le jazz – ensuite contre le rock -, considéré comme la musique du diable.
Le jazz sait exprimer – on l’a oublié – la rage, la colère, la sauvagerie qui se dissimule derrière cette société policée. Le jazz des années 1960-70 est marqué par le « mélange de rages » – titre du dernier album du saxophoniste Michel Fernandez. La mobilisation dite des Gilets Jaunes est aussi le condensé de toutes les rages qui s’accumulent dans cette société profondément inégalitaire.
La musique que propose Michel Fernandez et son quartet – Benoît Thévenot, piano, claviers, François Gallix, contrebasse, Nicolas Serret, batterie – tire ses origines de ces années de feu. John Coltrane est une des références. « Jeune homme en colère » tel qu’il était qualifié au début des années 60, il a su par la sauvagerie de son art révolutionner une fois encore cette musique. Le free-jazz a dynamité toutes les structures pour proposer une autre manière d’entendre. Michel Fernandez ne s’est pas contenté de reprendre le flambeau. Il apporte, avec ses compagnons, d’autres expériences, d’autres affluents mêlant Afrique, Amérique latine – sans oublier le calypso et Sonny Rollins – pour concevoir d’autres solidarités, revenir à la fraternité et à la sororité. Il faut savoir entendre le murmure du temps pour construire une mémoire du futur.
Nicolas Béniès
« Mélange de rages », Michel Fernandez quartet, Dreamphone/Socadisc