Visite du nouveau 36 quai des orfèvres…
Le siège de la Police Judiciaire à Paris est un lieu mythique, rempli de toutes ces histoires de policiers et de truands, plus ou moins légendaires à commencer par Vidocq créateur de cette police après avoir été un truand, un lieu aussi agréable avec vue sur la Seine, le Tribunal et le quartier latin. Cette année 2017 verra la fin du « 36 » pour un transfert dans la ZAC de Batignolles, dans le 17e arrondissement. Un changement difficile pour tous les personnels. A voir les photos, le bâtiment est fait d’un grand rectangle en forme d’un Titanic et d’une structure ressemblant à trois voiles allant de la plus petite en haut à la plus grande en bas. Il ne donne pas l’impression de respecter les lois de l’équilibre ou, plus exactement, d’un équilibre flottant comme dans un tableau de la peinture abstraite. Sous un autre angle il prend les traits d’une forteresse qui se veut imprenable, un petit air de château fort stylisé.
Hervé Jourdain, ancien capitaine de la Brigade criminelle, a effectué ce déménagement, en l’imaginant sur la base des plans de l’architecte, dans « Femme sur écoute », histoire à la fois d’une « call girl » – « escort girl » dit-on maintenant – manipulé par son futur mari, un truand et par un candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle et d’une policière victime d’une grave maladie et du sexisme de son chef d’équipe. De ce dernier point de vue, le échanges sont plus vrais que vrai. Ces deux femmes sont les héroïnes de ce roman et leur marche vers le précipice synthétise notre environnement politique et social. Comment survivre ? Pour quoi faire ? Comment marcher sur le fil du rasoir ?
Les flics sont pourris – pas tous bien sur -, les « hackers » ne sont pas poursuivis, l’homosexualité est « immorale » et doit être caché, l’extrême droite est protégée par des flics convaincus par cette idéologie et les systèmes informatiques de protection peuvent être piratés surtout par les société sous traitantes qui les ont posés. Hervé Jourdain pose – sans le vouloir ? – la question de la privatisation d’une partie des fonctions policières et met en garde contre les risques qu’elle représente.
La police doit faire son travail dans cet environnement. Difficile. Pour punir les « méchants », il faut une bonne dose de volonté, contourner un peu le règlement et user de quelques subterfuges pour faire triompher l’équité.
Jourdain raconte cette belle histoire – elle se termine bien – en montrant la réalité des obstacles notamment les liens entre la pègre et les flics. La pègre qui a les moyens… Il laisse penser, sans jamais le dire, que l’extrême droite a des liens avec la pègre qui lui permet de pourvoir à ses basses œuvres.
Écrit avec suffisamment d’allant pour suivre ces histoires aux multiples ramifications, malgré quelques temps morts, Jourdain dresse, avec bienveillance – on a remarqué que c’est le terme macronien par excellence – le portrait d’un monde en décalage, celui de cette PJ inquiète de son destin dans un nouveau lieu, cette forteresse des Batignolles. Un lieu impersonnel qui laisse les personnels orphelin-e-s de leur mémoire. L’auteur sait aussi rassembler les fils de ces destins pour rendre crédibles des rencontres improbables dans le temps et l’espace. Des histoires d’amour, d’amitié tout autant que celles de gangsters. Jourdain ne craint pas non plus d’aborder le contexte politique d’une élection présidentielle qui met aux prises un candidat d’extrême droite et un autre, candidat d’extrême droite qui bénéficie d’une popularité certaine dans les rangs de la Police, candidat qui est aussi l’objet d’un chantage. Les morts se succèdent pour épaissir le mystère.
Entrez donc, vous êtes attendus…
Nicolas Béniès.
« Femme sur écoute », Hervé Jourdain, Fleuve noir, Paris, 2017.