Mémoire du 20e siècle ? L’Europe de l’Est dans les débuts de la guerre froide.
Anne Applebaum est en train de se spécialiser dans l’histoire des horreurs du stalinisme triomphant en se pensant la seule capable de le faire. Déjà à la tête d’un « Goulag : Une histoire », elle poursuit avec ce « Rideau de fer, l’Europe de l’Est écrasée 1944-1956 ». La même méthode, à la fois des documents mis à jour récemment et une succession de témoignages souvent pro-domo sans distance et sans remis dans leur contexte.
Tout d’abord, il faut souligner que l’histoire de ce 20e siècle a du mal à se faire. Du coup, ces ouvrages mêlant souvenirs – qui suppose une part d’oubli -, mémoire, histoire font florès comblant un vide réel.
Les histoires que racontent l’auteure ne sont pas sans intérêt. Elles dressent un portrait a posteriori d’une société sans doute étrange faite d’un inextricable collage d’espoirs d’un monde nouveau – la fin de la guerre suscite un mouvement de contestation globale de la société capitaliste – et de barbaries détruisant cet espoir. La contre révolution s’organise dans le cadre du partage du monde décidé à Yalta – et à Potsdam – comme de la « guerre froide » déclenchée par les Etats-Unis, sous la présidence de Truman, en 1947. L’explosion des deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki étaient autant dirigée contre le Japon que contre l’URSS. Sans oublier que Churchill, il le raconte dans ses Mémoires, se croyant encore maître du monde, écrit à Staline en lui faisant part de son partage du monde. Et « l’Oncle Joe » de répondre OK… La contre révolution stalinienne s’est traduite par l’abandon des Kapétanios grecs et la répression dans le sang des manifestations de 1947 par les troupes britanniques. Sans compter les purges en URSS et dans les Partis Communistes des anciens résistant-e-s…
Ces rappels pour indiquer un environnement international d’espoirs de changement – les guerres coloniales le montreront – et de réaction des forces conservatrices dont le stalinisme fait partie. Rappels aussi nécessaires qui limitent les propos de Applebaum qui fait porter à la fois sur le marxisme et sur Lénine – comme Trotski – la politique assassine de Staline.
Ainsi elle écrit page 111 : « S ‘il l’on veut comprendre pourquoi [l’annexion de la Pologne], il faut connaître un peu de philosophie mais aussi d’histoire puisque les bolchéviks lurent les œuvres de Lénine et de Marx (…) non pas comme des sujets d’étude à l’Université (…) mais comme l’exposé de faits scientifiques. L’œuvre de Lénine (développée par Trotski) contenait une théorie des relations internationales (…) qui se présentaient à peu près ainsi : la Révolution russe était la première de toute une série de révolutions communistes (…) dés lors que le monde entier serait dirigé par des régimes communistes, l’utopie communiste pourrait s’accomplir. » Et de conclure, page 116 : « En vérité la révolution internationale n’était pas abandonnée. En 1944, l’Union soviétique s’apprêtait à la relancer. »
Une incompréhension fondamentale entre annexion et révolution. Ce sont les masses qui font la révolution pas la bureaucratie. Une théorisation qui ne permet pas de comprendre la contre révolution stalinienne et par-là même la manière dont le « modèle stalinien » allait se mettre en place dans ces pays. Une confusion totale.
Page 449, dans un autre domaine, celui de l’action de la police secrète. Pourquoi se méfie-t-elle des nouveaux citoyens ? Parce que ce sont des « saboteurs et des espions en puissance » comme elle l’écrit ? Pour la raison inverse. Parce qu’ils pourraient être porteurs de la contestation du régime ! Par peur de la révolution ! Le stalinisme a fait croire à ces accusations sans fondement et l’auteure les reprend à son compte…
Malgré ces handicaps qui démontrent la haine de Applebaum envers la Révolution et sa défense intransigeante du capitalisme libéral, ce travail dévoile aussi les normes de fonctionnement de ces sociétés sous le joug stalinien. Le vie quotidienne, les arrangements avec la police secrète, la préservation de son existence et tout le reste déjà connu.
Malheureusement, de tels livres obscurcissent les modalités de fonctionnement de ces société pour n’en garder que l’écume. Il faut savoir récupérer de ce fatras, les renseignements qui permettent de nourrir une réflexion sur la mémoire et l’histoire à faire de ce 20e siècle.
Nicolas Béniès.
« Rideau de fer. L’Europe de l’Est écrasée 1944-1956 », Anne Applebaum, Folio/Histoire, Paris, 2016.