Chronique économique du vendredi 30 janvier 2015 (radio Racailles)
La Grèce est sur le devant de l’actualité. En moins d’une semaine le gouvernement de Siriza et de son Premier ministre Alexis Tsipras ont multiplié les déclarations et les annonces. Les autres pays de l’UE ont mis en œuvre des contre-feux pour paralyser l’« effet Siriza ». Contre vérités, menaces à peine voilée, demandes contradictoires tout y est passé. Ce dimanche (1er février, moment d’écriture de cette chronique enregistrée en direct vendredi)) les bombes ont fait pschitt… pour le moment.
La mobilisation de « Podemos » en Espagne y est, peut-être, pour quelque chose. L’Eire, le Portugal, l’Espagne espèrent que le nouveau gouvernement grec pourrait obtenir des avancées qui pourraient permettre la renégociation de cette dette qui étouffe toute possibilité de croissance. Pour ces pays pré cités, il serait vital – comme le montre le documentaire canadien « Le prix à payer » – de revoir leur système fiscal. Les grandes entreprises, les plus riches échappent trop facilement à l’impôt. La réforme fiscale devrait permettre, en partie, de combattre ce système inégalitaire qui exerce des effets catastrophiques sur l’ensemble des sociétés. Lorsque 89 personnes possèdent 49% de la richesse produite, aucune société démocratique ne peut continuer à exister dans ces conditions. Même l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économique qui réunit les pays les plus riches du monde – a reconnu qu’il fallait combattre les inégalités.
Contre vérités et chantage
Dés l’annonce de la formation du nouveau gouvernement, le matraquage a commencé. L’annulation de la dette grecque coûterait 700 euros à chaque Français. Par quel tour de passe-passe ? On ne le saura pas. Sinon que l’Etat français possède des parts (des obligations) de la dette souveraine grecque. A quelle hauteur ? On ne sait trop.
Pour répondre signalons d’abord un oubli. Le gouvernement grec a payé les intérêts de sa dette. Tout le temps. Les propriétaires de ces obligations, qu’ils soient publics ou privés, ont reçu des sommes importantes d’autant que les taux d’intérêt étaient très élevés. Le budget français, comme celui des 16 autres pays de la zone euro, ont bénéficié de cette manne. N’était-ce pas immoral ? Ne faudrait-il pas considérer que la Grèce a déjà remboursé une grande partie de sa dette si elle avait été à taux zéro comme les avances aux entreprises ?
L’interrogation porte sur les causes de cette augmentation de la dette souveraine. Même si cet indicateur est sujet à caution, il donne une image de cette hausse. En 2007, la dette totale rapportée au PIB (l’indicateur de la création de richesses) était de 107%, en mars 2010, au moment du déclenchement de la crise de la dette grecque, de 129%, aujourd’hui de 177% soit 320 milliards d’euros. Ce rapport révèle dans le même temps la récession profonde qui touche la Grèce depuis 2008 et qui explique les difficultés de financement.
La politique d’austérité drastique imposée à la Grèce par la troïka – BCE, UE, FMI – est un échec lamentable. Il a réussi à appauvrir le pays et ses habitant(e)s. C’est le seul résultat tangible. Il a servi de laboratoire à l’ensemble des autres pays de la zone euro pour savoir jusqu’où pouvait aller cette politique. Même les économistes du FMI ont reconnu – bien tardivement c’est vrai – que la politique d’austérité avait été une erreur… Il faut ajouter que l’augmentation de la dette souveraine grecque – comme pour tous les Etats des pays capitalistes développés – était due à la nécessité de sauver le système financier en finançant les banques pour leur éviter la faillite.
Comme le titrait le journal Les Echos du jeudi 22 janvier, « Grèce : le bilan social calamiteux du plan de sauvetage ». « Chômage, caisses de retraite, système de santé, pauvreté : tous les indicateurs sont au rouge », que dire de plus ? Que l’endettement existe toujours. Non seulement cette politique a creusé les inégalités, augmenter chômage et pauvreté mais n’a pas en rien résolu la question de l’endettement, pourtant le but avoué de toute cette panoplie de mesures imbéciles sur le terrain économique. La troïka a voulu faire taire le peuple grec et avec lui tous les mouvements de contestation du libéralisme. Ils ont provoqué un processus de solidarité interne, sous des formes diverses, qui a permis la victoire de Siriza.
Michel Sapin, en réponse à la demande du nouveau gouvernement grec de renégocier la dette, s’est fait remarquer pour sa remarquable analyse. Il est possible, a-t-il dit en substance, de renégocier la dette si le gouvernement grec s’engage dans les « réformes structurelle ». Remarquable langue de bois dont est coutumier ce ministre des finances. Décryptons. La dette pourrait être rééchelonnés – être reportée dans le temps, donc la Grèce paierait plus d’intérêt – ou le taux d’intérêt pourrait baisser pour tenir compte de la conjoncture actuelle qui fait baisser globalement les taux de l’intérêt et, en contrepartie, le gouvernement grec suivrait les traces de la future loi Macron en flexibilisant le marché du travail et en supprimant le droit du travail. Beau programme qui s’oppose frontalement aux annonces du nouveau gouvernement grec qui a promis d’augmenter le SMIC pour le faire revenir à son niveau de 2010 – il a baissé depuis cette date de plus de 20% à un montant actuel inférieur au seuil de pauvreté -, de revenir sur les privatisations notamment celle du Pirée au grand dam du gouvernement chinois déjà propriétaire de la moitié du port.
Un programme irréaliste ?
Le programme de Siriza pourrait être qualifié de « social-démocrate » si ce avait encore un sens. Il n’est pas question de sortir de la zone euro. A juste raison. La solidarité européenne devrait faire partie de la panoplie de la construction de l’Europe. Elle fait partie de la solution politique pour construire l’Europe, lui redonner une légitimité. Au lieu de pratiquer dumping social et fiscal, la mise en œuvre de politiques communes pourrait éviter une nouvelle crise de l’euro qui pointe à l’horizon malgré les mesures prises par la BCE qui ne visent qu’à aider les banques et les institutions financières (vois mon article « La BCE aux avant-postes sur mon site/blog www.soufflebleu.fr). La crise systémique du capitalisme est loin d’être terminée.
Annuler une partie de la dette pour financer les mesures sociales et renouer avec la croissance est non seulement possible mais vitale. Pour l’avenir de la Grèce et pour celui de l’Europe.
Le gouvernement allemand, Angela Merkel, se posent en fossoyeurs de l’Europe en refusant toute concession sur les politiques d’austérité, sur la dette et sur les mesures sociales. Ils sont en train de tuer l’idée même de la construction européenne. Et les autres gouvernements – dont le Français – n’osent pas s’opposer. Parce qu’ils partagent fondamentalement la même idéologie libérale. Pourtant, cette vision du monde est entrée en crise et en crise profonde.
Cette annulation ne coûtera rien aux contribuables. Elle peut passer par la BCE déjà propriétaire d’une grande partie de la dette passée qu’elle a racheté juste avant la décision d’annuler 70% de la dette. La BCE a ainsi pris à sa charge, en partie ou totalité, les pertes possibles des banques allemandes, françaises et grecques. Aujourd’hui 70% de la dette souverain grecque sont aux mains soit des États, soit de la BCE, soit du FESE, Fonds Européen de Stabilité Financière, fondée en 2010 pour prêter à la Grèce des capitaux lui permettant de payer le service de sa dette.
Qu’est ce qui empêche la BCE, dans son programme de rachat de titres, d’augmenter son portefeuille d’obligations de la dette souveraine grecque ? Rien a priori, sauf le refus du gouvernement allemand et de la Bundesbank mais ce peut-être contourné… Une fois en possession de ces obligations, la BCE peut les annuler. Cette destruction d’obligations déjà émises est l’équivalent d’une création monétaire puisque les BCE les a achetées donc créer de la monnaie pour ce faire. Cette annulation s’inscrit parfaitement dans son plan actuel de lutte contre la déflation.
Ensuite, le gouvernement grec demande un moratoire et pas une annulation. Il ne s’appuie même pas sur le droit international qui définit des dettes odieuse, lorsque cette dette s’est traduite par des attaques répétées contre les populations, ou illégitime lorsque cette dette à servi à financer les déficits précédents… Les raisons d’annuler la dette sont nombreuses.
Le gouvernement grec propose, de plus, d’indexer le taux d’intérêt de la dette future sur le taux de croissance… On ne voit pas ce que pourrait invoquer Angela Merkel ou les autres gouvernements de la zone euro pour exiger la sortie de la Grèce, comme on l’entend sur les ondes ces derniers temps.
La peur du gouvernement allemand est la contagion. Si l’annulation de la dette grecque est décidée, quid de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de l’Irlande du Sud ? Le même processus est possible. Le coût est minime. Et l’avantage énorme, celui de faire exister l’Europe de la solidarité. Mais Merkel est enfoncé dans l’idéologie libérale et dans la défense des seuls intérêts des capitalistes allemands, un intérêt de court terme. Ils sont en train de scier l’arbre sur lequel ils regardent s’agiter les autres pays. Lorsque l’Union Européenne n’aura qu’une poignée de riches et une multitude de pauvres, ce sera à la fois la fin des marchés pour ces capitalistes et l’arrivée d’une nouvelle barbarie.
Pour sauver l’Europe, il faut soutenir Siriza. Une solidarité vitale pour eux et pour nous.
L’annulation d’une partie de la dette ne pose aucun problème sérieux. Surtout que la zone euro est entrée dans la déflation – la baisse des prix due à la surproduction. La création monétaire pour alimenter le circuit économique et non la sphère financière, fait partie des réponses. La discussion devrait porter sur ce terrain : les réponses à la crise financière et économique. De ce point de vue aussi la Grèce montre la voie…
Nicolas Béniès.