L’art du trio (1)
Il arrive que des surprises – bonnes – émaillent notre quotidien d’« écouteur » de disques de jazz, souvent là où on ne les attend pas. Sans l’insistance de l’attachée de presse – Dominique Abdesselam – je ne suis pas sur que cet album ait retenu mon attention, sauf, peut-être, pour le plaisir d’entendre André Ceccarelli batteur de son état. Par contre, le pianiste de ce trio « Ligne Sud » – deux Marseillais et un Niçois -, Christian Gaubert ne me disait rien. Comme je ne suis pas un amateur des films de Lelouch, j’ignorai qu’il avait participé à la musique du film « Salaud, on t’aime » qui n’a dû faire une grande carrière…
« Ligne Sud » est un trio qui fonctionne. La musique circule. Bien sur la référence qui s’impose est celle des trios de Bill Evans, filiation fièrement revendiquée, filiation difficile s’il en fut.
C’est un petit miracle de musicalité, d’allégresse dans cette émotion contenue. Jannick Top, à la guitare basse fait souvent la preuve de sa capacité à être dans l’air du temps, est ici à la fois très présent et presque en retrait. Il permet au trio de respirer, de le faire vivre. Un travail étonnant. Pianiste et batteur se complètent tout en s’opposant.
Le tout est un album à écouter. Thomas Savy, invité aux saxophones, au soprano dans « Lumières citadines » – sait apporter une touche supplémentaire pour éviter la monotonie.
Nicolas Béniès.
« Ligne Sud Trio », Christian, Gaubert, André Ceccarelli, Jannick Top, Cristal Records distribué par Harmonia Mundi.
L’art du trio (2)
Un trio de jazz classique – piano, basse, batterie – trouve sa mémoire dans les trios de Ahmad Jamal et surtout dans ceux de Bill Evans avec la libération totale de la contrebasse due au génie de Scott LaFaro. Faire vivre ce trio sans imiter ceux-là est difficile. La voie est étroite.
Denis Levaillant, pianiste, à la fin des années 1980, début 90 – de 1986 à 1993 nous dit-il – avait trouvé une formule à son goût. Il faut dire qu’il s’était entouré de musiciens à la mémoire longue avec un goût prononcé pour toutes les ouvertures en forme d’aventure. Le batteur/percussionniste Barry Altshul – qui a longtemps participé aux expérimentations de Anthony Braxton – et le contrebassiste Barre Phillips, coupable de toutes les envolées, de toutes les sorties du sens commun, à l’affût de toutes tentatives pour étonner, ravir et provoquer auditeur(e)s et musiciens avaient de quoi nourrir l’imagination du pianiste.
Autour de ce trio et avec ce trio, Denis Levaillant avait construit un spectacle, « Les passagers du delta » qui avait tourné pendant plusieurs années.
Dans cet objet artistique non identifié – un « media-book » écrit le pianiste dans sa présentation-, une sorte de livre avec deux CD à l’intérieur, l’un enregistré en public dans le cadre du festival « Banlieues Bleues », en 1989, l’autre en studio datant de 1987, une introduction générale sur le trio – il faudrait plus que ces quelques lignes – de pascal Anquetil et un commentaire composition par composition de Denis Levaillant lui-même. Une explication et une mise en situation nécessaire pour les écouteurs d’aujourd’hui.
Ces deux CD permettent d’entendre le travail de recherche qui s’effectue dans le moment de la création dite spontanée, en fait une certaine combinaison de segments connus, travaillés pour éviter toute répétition.
Un trio qui fait la preuve de son actualité, une musique nécessaire, une de celles qui ne peuvent laisser indifférent.
Nicolas Béniès.
« Les passagers de delta, Altshul/Levaillant/Phillips trio jazz », DLM éditions/La joie de découvrir, distribué chez les libraires par Pollen et chez les disquaires par Abeille Musique.