Un concert étrange dans un endroit d’ailleurs.
La Luciole est un drôle d’endroit. Qui a une histoire. Cette salle, avant d’être rénovée, a accueilli la fine fleur de la chanson française à commencer par Bernard Lavilliers pour une « contenance » d’environ 100 personnes.
Aujourd’hui, située un peu en dehors d’Alençon (dans l’Orne), elle en jette. C’est le terme qui convient. Ornée de deux cheminées renversées et unies à leur (fausse) base, elle semble dominer les routes qui, comme à l’accoutumée, se croisent.
Recevoir en ce lieu un groupe américain aux influences de Rhythm and Blues louisianais, de cette Nouvelle-Orléans qui a beaucoup souffert, de ces Bayous mystérieux, avait quelque chose d’incongru et de magique.
Au bar quelques bikers un peu âgés, un public dans sa grande majorité pas très jeune, une salle au plafond bas et orné d’étoiles pouvaient rebuter dans un premier temps. Cette première réaction se serait avéré une profonde erreur.
Bizarrement par rapport aux décibels transportés dans quelques grandes salles qui conduisent directement à la surdité, là le son était maîtrisé pour permettre aux musiciens que le public pouvait toucher et voir – c’est de plus en plus rare – de faire la preuve de leur maîtrise et de leur joie, réelle semblait-il, d’être là.
« The Royal Southern Brotherhood », c’est le nom de ce groupe qui reprend le nom d’une marque de bourbon1 qui a peut-être disparue mais encore présente dans certains polars dont le cadre est celui de ce Sud étrange, encore profondément marquée par l’esclavage et le racisme. James Lee Burke, sur les traces de Faulkner le raconte crûment sans s’encombrer de morale moralisatrice. Il faut le lire pour appréhender aussi la place que tient cette musique dans la vie de tous les jours. La musique EST la vie dans ces contrées. Le blues occupe une très grande place. Il rythme les jours. Cette confrérie est donc celle du Bourbon, la boisson préférée de ce Sud des Etats-Unis qu’il ne faut pas confondre ni avec le whisky ni avec le gin. Je ne suis pas sur que ces références parlent à la jeunesse d’aujourd’hui.
C’est vrai que la musique tient beaucoup de Johnny Winter, des « Meters » et d’autres groupes comme Sly and the family stone qui ont marqué les années 1970, une musique qui ne peut vieillir surtout si elle est habitée par des musiciens qui ont avec elle des liens singuliers, ceux du sang comme ceux d’une tradition venant du plus profond de ce Sud.
Pendant prés deux heures, ils ont passé en revue tous les styles qui cohabitent dans cette Louisiane qui fut française. Du blues bien sur, un peu de reggae revu et corrigé, du rock, de la soul, du rhythm and Blues… et je dois en oublier. Un déluge de rythmes provenant d’une batterie exigeante, de guitares qui pleurent, de voix qui crient, de musique emportant tout sur son passage, laissant un public à la dérive qui ne sait plus à quel saint se vouer. Après un démarrage difficile – que je comprends, 6 heures du soir à Alençon ! -, ils ont donné l’impression de jouer comme s’ils étaient dans un club de cette Nouvelle-Orléans qui en comptaient tant. Une sorte de transbordement permis par la musique elle-même. Les musiciens semblaient emportés comme le public. Un grand moment.
Devon Allman – le fils d’un des Allman Brothers -, guitare et vocal, Cyril Neville, le cadet des Neville Brothers, vocal d’outre-tombe et percussion à la tête de zombie tout droit sorti des personnages du Vaudou, Mike Zito, guitares et vocal se délivrant d’on ne sait quel délire, Charlie Wooton à la basse électrique sur laquelle il sait tout faire dans le cadre du blues, du rock et Yonrico Scott à la batterie – c’était ce soir là, dimanche 6 octobre 2013, son anniversaire mais il n’a pas dit son âge – qu’il aime lui faisant jouer tous les rôles comme il l’a démontré en un long solo qui ne fut jamais ennuyeux, se sont donnés en spectacle pour la grande joie d’un public d’une centaine de personnes qui en redemandait.
Il ne faut pas les rater.
Nicolas Béniès.
The Royal Southern Brotherhood était en concert le dimanche 6 octobre 2013 à La Luciole sise à Alençon.
1 C’est aussi le nom d’un « Yacht Club »