« Le premier Âge du capitalisme », tome 3 « Un premier monde capitaliste »

Quand le passé cogne sur le présent.

Alain Bihr clôt son monumental essai sur l’analyse historique, sociologique, économique, sociale de la formation du capitalisme dans la période 1415-1763. Il propose, dans ce troisième tome, à la fois une démonstration théorique des fondements du capitalisme et une vision du développement inégal et combiné du monde pour expliquer les centres mouvants de l’Europe, successivement le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la France et l’Angleterre et les « semi-périphéries ». Une revue pays par pays ou groupe de pays pour mettre en évidence l’ordre social : le poids de la noblesse et de la monarchie absolue et les révolutions qui permettent aux nouvelles classes sociales de prendre le pouvoir. C’est le cas de la révolution batave très peu mise en évidence dans beaucoup d’ouvrages. Une révolution oubliée.
Il termine en consacrant un chapitre sur les pays en « marge du développement capitaliste » comme l’empire ottoman, la Chine… sans oublier le cas particulier du Japon et son passage rapide et violent du féodalisme au capitalisme. Il dessine ainsi une architecture du monde hiérarchisée, mouvante où les guerres jouent un rôle économique et politique central.
Ce « premier monde capitaliste » est qualifié par l’auteur de « protocapitalisme mercantile » pour démontrer la place essentielle du capitalisme commercial dans les changements de la production. La création de la manufacture s’explique par les besoins de ce capitalisme liés au gonflement des échanges et à la nécessité d’augmenter les exportations pour une balance commerciale excédentaire. Les mercantilistes – des économistes avant l’existence de l’économie politique – avaient bien compris cette nécessité en insistant sur le commerce extérieur pour le développement et la croissance de leur propre proto-nation, pour le pouvoir de leur monarque.
Un voyage dans le temps et dans l’espace qui éclaire le monde actuel. L’adulte s’explique par l’enfant : le capital est d’abord, historiquement et logiquement, un rapport social. Il implique la séparation des producteurs d’avec leurs moyens de production et par la loi de la valeur que Marx théorise dans la section 1 du livre 1 du « Capital ». Le fétichisme de la marchandise en découle : les rapports sociaux s’évanouissent pour donner l’impression de rapports entre les choses ainsi que le fétichisme de l’État, l’impression que l’État est au-dessus des classes.
La thèse centrale se retrouve : l’expansion commerciale et coloniale est la condition nécessaire à l’établissement des rapports d’exploitation et de domination qui a permis à l’Europe de devenir le berceau du capitalisme et ce au détriment du reste du monde.
Nicolas Béniès.
« 1415-1763, le premier Âge du capitalisme, tome 3 », Alain Bihr, Page 2/Syllepse, 1762 p.,