Une somme nécessaire pour comprendre notre monde
Alain Bihr poursuit son travail de titan pour déterminer les causes de la naissance du capitalisme en Europe occidentale et en traquer les conditions. Dans le tome 1 du « Premier Âge du capitalisme », il déterminait la place essentielle de la colonisation, condition nécessaire à l’existence du proto capitalisme – cf. notre article sur ce site – condition très largement sous estimée jusque là.
Dans ce deuxième tome, La marche de l’Europe occidentale vers le capitalisme, il insiste sur l’accumulation du capital-argent sous la forme du capital commercial et du capital financier, la formation du prolétariat par l’expropriation des producteurs pour terminer par les avancées du capital industriel passant par le capital agraire et les manufactures. Pour mettre en place ce proto capitalisme, il a fallu l’invention de la comptabilité en partie double, des transformations culturelles, juridiques, la constitution de marchés spécifiquement capitalistes, la guerre, les révolutions et surtout la création d’un Etat de droit capable de représenter toute la classe bourgeoise.
L’auteur indique les résistances, les allers-retours, les destructions/créations nécessaires au nouvel ordre qui se développe pour assurer la victoire de la classe montante et révolutionnaire, la bourgeoisie et ses rapports de production capitalistes. Il critique la thèse wébérienne qui, dans une de ses versions, fait du protestantisme la condition nécessaire du capitalisme. Il montre que le lien entre la nouvelle idéologie religieuse est tout autant le résultat que la conséquence du capitalisme. Que les réactions du catholicisme ont pu aussi permettre au capitalisme de se développer. Sont utilisées l’Histoire, la sociologie, l’économie – une référence aux théories, en l’occurrence le mercantilisme –, la méthode et les concepts de Marx qui démontrent leur capacité à rendre compte de la réalité, pour nous embarquer dans cette fresque singulière. La société féodale se délite. Elle permet, par ses règles de fonctionnement même, de promouvoir la nouvelle classe sociale via notamment le crédit.
Ce tome se termine sur la construction d’une morale, d’une culture spécifique adaptée : l’individualité assujettie passant par la formation de la famille nucléaire et l’invention de l’enfance via la scolarité.
Un voyage ahurissant, époustouflant dans cette Europe révolutionnaire. Qui interroge sur les permanences du capitalisme.
Nicolas Béniès
« Le Premier Âge du capitalisme, 1415-1763. Tome 2, La marche de l’Europe occidentale vers le capitalisme », Alain Bihr, page2/Syllepse, 865 pages