Sur l’Art Ensemble of Chicago

Histoire d’un groupe de jazz

L’Art Ensemble Of Chicago a été découvert à Paris au début des années 1970. Toute une génération a été biberonnée à sa musique qui, par ses mémoires en acte, a fait pénétrer dans tous les mondes du jazz. Ces quatre – Joseph Jarman et Roscoe Mitchell aux saxes, Lester Bowie à la trompette, Malachi Favors à la basse – dans l’ordre d’apparition sur la scène parisienne, puis 5 avec l’ajout de Don Moye aux percussions ont joué un grand rôle dans la compréhension du jazz. Partie prenante de l’AACM – Association for the Advancement of Creative Musicians –, association de Chicago pour rendre les musiciens créatifs, ils revendiquent un projet politique, démocratique et social. Paul Steinbeck, dans « The Art Ensemble of Chicago », fait, bizarrement, œuvre de pionnier en signant la première étude du groupe. A l’américaine : en multipliant les citations, les témoignages, une manière un peu lassante parfois mais qui redonne vie à un groupe phare. Il ne faut pas le rater si vous voulez appréhender un peu de ces années de feux.
Nicolas Béniès
« The Art Ensemble of Chicago », Paul Steinbeck, préface et traduction de Ludovic Florin, postface de Alexandre Pierrepont, Presses Universitaires du Midi (PUM)
NB Il faut saluer la volonté de Ludovic Florin de faire connaître les travaux sur le jazz.
On trouvera les recensions du travail d’Alexandre Pierrepont sur ce site.

JAZZ, un curieux album

Le jazz peut-il se raconter ? Se dire ?

Alexandre Pierrepont suit les pas de Michel Leiris, comme un passage de témoin. Anthropologue et ethnologue, il se projette dans le « champ jazzistique » – pour reprendre le titre de son premier ouvrage, aux éditions Parenthèse – pour construire son imaginaire à force de mots. On dira poète pour aller vite. Les mots sont souvent traîtres, ils disent et se reprennent en confinant la chose ou l’être à sa dénomination. Il arrive que, comme chez Alice, la résistance s’organise en sortant des mots avec d’autres mots ou la musique.
La musique est ici construite, improvisée par le batteur Denis Colin. L’autre protagoniste de cette aventure. Il fait aussi sortir la batterie – instrument emblématique du jazz rappelons-le – de son strict rôle qui lui est assigné pour aller voir ailleurs si elle ne peut pas bâtir d’autres mondes, d’autres ambiances. Continuer la lecture

JAZZ, il faut aussi le lire…

Réflexions.
Le jazz est, il faut le rappeler, une musique sans nom dont les contours ne sont pas définis avec précision. Son identité est mouvante et ses frontières extensives sauf pour quelques « Ayatollahs » incapables d’être de leur temps. Le « champ jazzistique » n’est pas réductible à des dogmes. Il est en constante évolution et suppose de rompre avec la tradition, avec les « grands ancêtres » tout en les connaissant, tout en jouant avec les mémoires pour construire une mémoire de l’avenir.
Polyfree, Outre MesurePhilippe Carles et Alexandre Pierrepont ont voulu, à l’aide de contributeurs divers, dessiner une « carte au trésor » du jazz contemporain pour essayer de l’appréhender dans le contexte d’une interrogation générale sur la place de la culture et des anti-arts. Ils compilent des réflexions récentes – les années 1970-2015 – pour indiquer que la critique reste active. « Polyfree » est le titre de cette « terra incognita » que les auteurs nous invitent à découvrir. Le résultat, au-delà de sa curiosité, de son étrangeté lié à la diversité des points de vue et des affluents nouveaux du jazz, permet à la fois de s’interroger sur les mystères du jazz et sur sa place dans les anti-arts de ce 21e siècle. Une interrogation qui part du jazz pour s’élargir à l’ensemble des disciplines artistiques.
Nicolas Béniès.
« Polyfree », sous la direction de Philippe Carles et Alexandre Pierrepont, Editions Outre Mesure

Appréhender le jazz ? Est-ce possible ?

Une vague moderne et solidaire pour la créativité individuelle.

Il est des anniversaires qu’il faut savoir fêter surtout lorsqu’il s’agit d’un jubilé. L’AACM, Association for the Advancement of Creative Musicians, est née à Chicago en 1965 sous la férule du pianiste Muhal Richard Abrams qui avait, déjà, une carrière derrière lui. 1965, il faut s’en souvenir, c’est aussi une sorte d’apogée du « Black Power » via toutes les associations et organisations qui gravitaient autour de cette revendication, en particulier Malcom X et les « Black Panthers ». La répression, l’oubli est aussi tombé sur cette donnée, a été sanglante. Les forces de police n’ont pas fait dans la dentelle et ont tué ou emprisonné une grande partie de ces militants.
Cette association se proposait d’offrir aux musicien-nes-s des rencontres, des discussions pour leur permettre de trouver leur propre voi(e)x. De « faire » communauté, collectif tout en préservant le champ des possibles de l’individu. Une sorte d’anarchisme mariant la fraternité et des formes de société secrète. La plupart des musicien-ne-s de jazz d’aujourd’hui sont passé(e)s par cette école ouverte et sans structure. A commencer par Anthony Braxton mais aussi la flûtiste Nicole Mitchell qui fut la dernière présidente en date de cette association. Continuer la lecture

A propos de l’AACM, de Chicago et d’un label, RogueArt.

Une suite de « En passant par Chicago« 

Les années 1960 allaient voir la dernière (en date) révolution esthétique du jazz – et des autres anti arts pour signifier les arts vivants -, appelée « Free Jazz ». On parlera aussi pour signifier la même révolution de « New Thing », la nouvelle chose sur laquelle, dans Les Cahiers du Jazz (première formule), allait gloser Georges Pérec suivi et précédé par beaucoup d’autres. De nouveau, pour décliner la chose nouvelle, s’écrira que le jazz est mort remplacé par cette « New Thing ». Le jeu sur les mots à certes son intérêt – il peut faire rire aux larmes – mais ne remplace l’analyse de la chose elle-même.

Free et le reste

Depuis, le free jazz à alimenter une sorte de « Mainstream », un terme difficilement traduisible. Ou il suppose toute une explication. Toutes les révolutions esthétiques du jazz se fondent en un grand ensemble évolutif qui forment un corpus, un patrimoine qui devient celui du jazz et des jazzmen. Une sorte de référence commune. Qui a fait disparaître le free jazz englouti dans ce courant principal.
Le « free jazz posait des questions redoutables quant aux frontières, au périmètre du jazz. Continuer la lecture