« Front populaire » en revue.

On ne nous l’onfray pas ou les odeurs fétides du souverainisme identitaire

Front populaire ? Les mythes ont la vie dure. Encore aujourd’hui en pleine crise sanitaire, l’expression soulève l’émotion due à cette victoire populaire que représente dans nos consciences mythifiées le gouvernement formé par Léon Blum en juin 1936.
Un soulèvement populaire obligea un gouvernement à prendre des mesures aux grands cris des dominants, de la droite et de l’extrême droite qui préféraient Hitler au Front populaire.
Des mesures sociales – dont une partie ne fut pas appliquée – mais pas l’égalité des droits pour les femmes, dont le droit de vote – il faudra attendre la fin de la guerre – pas de décolonisation pour les peuples asservis… mais une grande vague populaire, un tsunami joyeux scandé par la défaite provisoire du patronat. Des jours heureux !
Qu’aujourd’hui Michel Onfray titre ainsi une revue, en dit long sur les confusions, savamment entretenues y compris par une partie de la gauche.
La défense de la souveraineté étatique ou identitaire, d’un populisme sans la citoyenneté, est un pare-feux à la souveraineté populaire et aux organes d’auto-administration et d’autogestion nécessaires à l’émancipation de toustes et de chacun·es.
Qu’est ce que la souveraineté d’une puissance impérialiste, colonialiste, du troisième marchand d’armes dans le monde, de l’exportation de services et de produits agricoles ? Cette mal-nommée souveraineté va-t-elle renoncer aux exportations et aux accords de libre échange/pillage ? Va-t-elle favoriser les localisations de productions au plus près des populations dans le monde ? Va-t-elle favoriser les demandes légitimes de souveraineté alimentaire ou sanitaire des peuples ?
Que des populistes très marqués à l’extrême-droite se soient sentis immédiatement concernés par ce projet, en souligne la réelle portée. Un populisme en défense de la fantasmagorique « identité nationale » et du refus d’installation des populations migrantes (sans oublier le refus de la citoyenneté de résidence pour toutes et tous), un populisme qui promeut un peuple imaginaire anhistorique, sans métissage, sans divergences d’intérêts, sans rapports sociaux.
Un peuple considérablement blanc, masculin et catholique ou laïc à forte référence chrétienne, un peuple auto-désigné élu en somme, un peuple uniforme à leur image.
Complotisme, confusionnisme, négation de l’insertion conquérante de l’Etat et des grandes sociétés « françaises » dans le monde et particulièrement en Afrique ou dans les confettis de l’empire, racisme et sexisme plus ou moins décomplexés, au nom d’une République qui ne fut jamais ce que les uns ont prétendu qu’elle fut…

Une revue pour ne pas faire de politique politicienne, en rester au domaine des idées ? Quel est le corpus théorique qui correspond aux mesures nécessaires et défendues ? Avec qui fait-on alliance ? Sur quelles bases ? Dans le retour actuel de l’État, il faut pourtant poser la nécessité de défendre le non marchand contre l’envahissement du marchand. Les services publics et leur gratuité sont nécessaires et pas seulement les « communs ».
Pour l’heur, la lutte idéologique est vitale contre le néo-libéralisme mais aussi contre les théorisations d’une droite extrême portée par la crise politique profonde qui atteint les racines mêmes du possible démocratique. Renouer les fils de la théorie de compréhension et de transformation du capitalisme est vital. Et faire du capitalisme un système qui a existé de toute éternité et qui existera toujours dans l’avenir ne permet pas l’action pour révolutionner les sociétés. La crise sanitaire actuelle amplifie les tendances des gouvernements vers les états d’urgence pour éviter de rendre des comptes et ainsi installer l’habitude de l’autocratie. Défendre les libertés démocratiques, défendre la citoyenneté, construire des contre-pouvoirs sont des thèmes vitaux pour construire une société autogestionnaire. Comme partager la culture, les connaissances au sein d’universités populaires pour permettre le développement de l’esprit critique loin de tout formatage.
Les véritables orientations anti-systèmes, les remises en cause de l’ordre établi pour plus et non moins d’égalité, les choix démocratiques dans la gestion des entreprises et des cités, les nécessaires empiétements sur la propriété privée lucrative, etc., bien peu de gens en parle.
Ne sont pas anti-système, celles et ceux qui en vivent, paradent dans les médias, affirment leur privilège d’expertise au nom de la méritocratie, confondent le vert de l’espérance au brun des miasmes identitaires…

Nicolas Béniès et Didier Epsztajn