La virtuosité humaniste d’Oscar Peterson.

La geste du piano

Oscar Peterson, le piano dans toute sa plénitude, dans toute sa rigueur qui sait parcourir les 88 touches à la vitesse d’un champion olympique de 100 mètres. Oscar, un « Dieu » bis. « Dieu » premier – pour le piano -, Art Tatum, fut ainsi qualifié par « Fats » Waller un soir où Tatum entrait dans un club où officiait Fats. Une anecdote peut-être apocryphe qui dit bien le respect et plus encore de tous ces grands artistes envers la virtuosité tatumienne. Même le plus grand ne pouvait rivaliser.

Pour Oscar, la réaction était similaire. Les petites histoires pullulent. Quincy Jones s’installe au piano, Oscar entre et il quitte immédiatement sa chaise ou Ray Charles qui lui aurait dit « laisse-nous un peu respirer » ou encore Count Basie qui ne voulait pas jouer avec lui en duo de peur d’être mangé tout cru. Pourtant, Oscar sait faire preuve d’une humanité et d’une attention profondes comme le montrent les trois albums qu’il a réalisés avec Basie.
Oscar Peterson c’est aussi la cheville ouvrière de base des JATP – Jazz At The Philharmonic – organisé par Norman Granz. En juillet 1944, Norman réalise la première réunion de jazzmen dans des endroits dédiés à la « Grande Musique », à cette musique dite classique, symphonique. Granz veut imposer le jazz comme une grande musique sans ségrégation dans ces salles. Des paris qui étaient loin d’être gagnés.
L’organisateur trouvera à Montréal (au Québec) le pianiste qu’il lui faut, digne successeur de Tatum et d’une santé robuste – il le faut pour faire 300 dates par an. Il fallait au pianiste des interlocuteurs à la hauteur de son savoir. Il trouvera le bassiste en la personne de Ray Brown synthèse de passé et de présent du jazz, entre swing et be-bop pour parler autrement avec suffisamment de bagage pour tenir la dragée haute à un piano qui ne fait pas de cadeau et cherche un alter ego et non pas un accompagnateur.
Le modèle de Oscar ne se trouve pas chez Tatum mais chez Nat « King » Cole à la fois pour le jeu de piano, la manière de chanter – Oscar est un peu le clone de Nat lorsqu’il chante – et la forme du trio, piano/contrebasse/guitare. Dans un premier temps, ce sera Barney Kessel débauché par Norman puis Herb Ellis un texan qui sait tout du blues. Un trio pas seulement musical. Comme le racontera Herb, Oscar l’aidera à se sortir de sa dépendance à l’alcool…
Pour ce coffret de trois CD, le trio susmentionné est encore actif en ces années 1957-58 pour deux concerts à l’Olympia comme c’est l’habitude pour « Ceux qui aiment le jazz ». Sans donner de signes de fatigue, Oscar pensera nécessaire de changer les modalités du trio pour revenir au classique piano/contrebasse/batterie tout en conservant Ray Brown. Ed Thigpen, un de ces maîtres du temps un peu négligés parce qu’il s’est installé en Europe du Nord, sera le troisième homme. Une place qui ne fait pas de lui un simple accompagnateur mais le troisième élément indispensable à la création des deux autres.
Ces concerts du 21 mars 1960, du 28 février 1961 et des 16 et 17 mars 1962 sont des grands moments malgré la crise algérienne qui secoue encore la France et malgré la décision du Général de Gaulle cette même année 1962 de décider l’élection du Président de la République au suffrage universel direct…
Que dire de plus ? Sinon que Norman Granz, co-producteur en même temps que des habituels Daniel Filipacchi et Franck Ténot, présente les musiciens en français et que le public réceptif entraîne les musiciens à aller voir un peu ailleurs pour redonner aux standards toute leur force naïve.
Installez-vous. Ne faites rien d’autre. Écoutez. Ce trio, une fois encore, vous laissera pantois, désarmé, fou de cette sève printanière inaltérable. Laissez-vous aller. Taper dans vos mains, c’est le moment…Pour évitez les ennuis, invitez vos voisin-e-s…
Nicolas Béniès
« The Oscar Peterson trio, 1957 1962 », Live in Paris, la collection des grands concerts parisiens dirigée par Michel Brillé et Gilles Pétard, coffret de trois CD, Frémeaux et associés.