Une affaire d’État ?

Crimes oubliés, de femmes, une enquête nécessaire.

« Triple assassinat au 147 rue La Fayette » est une enquête détaillée sur les raisons pour lesquelles trois femmes kurdes, Sabine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, sont tuées dans le petit appartement sis à cette adresse, le 9 janvier 2013. Les soupçons se portent sur un Turc, Ömer Güney qui s’était fait accepter par la communauté kurde de France. Les assassinées font partie des dirigeantes du mouvement, sauf Leyla Saylemez, une jeune militante. Le procès du prétendu coupable devait s’ouvrir en janvier 2017 mais Güney est mort, d’une tumeur au cerveau le 17 décembre 2016.
Laure Marchand a essayé de faire la lumière sur cette ténébreuse affaire qui visait directement la communauté kurde à Paris, le PKK. Pour le gouvernement français de Nicolas Sarkozy, le PKK était classé organisation terroriste. A partir de 2006, les arrestations se multiplient et, en 2007, un vaste coup de filet décapite la direction en exil du PKK, le parti des travailleur du Kurdistan. En octobre 2011, Claude Guéant, alors ministre de l’intérieur, signe un accord avec Erdogan pour « lutter, aux côtés de la Turquie, contre le terrorisme du PKK » faisant fi de la répression assassine contre les Kurdes. Après le récent coup d’Etat avorté et sous prétexte de lutte contre la confrérie Gülen et le terrorisme, tous les opposants à commencer par le parti officiel kurde, se sont trouvé soit emprisonnés soit privés d’emploi. L’enquête en France s’est heurtée, comme il se doit, au secret défense. Les documents demandés par la juge d’instruction ont été caviardés et inutilisables. Bref, le secret est bien gardé. La responsabilité des autorités françaises est pourtant avérée.
Le contexte a, sans doute, joué un rôle. Laure Marchand rappelle que, en 2013, un rapprochement est en cours entre la France et la Turquie. D’énormes marchés sont possibles pour l’industrie française. C’est beaucoup plus important que l’assassinat de trois femmes… Plus encore, l’Union Européenne a besoin de la Turquie pour freiner l’arrivée des migrants qui fuient la guerre en Syrie notamment. L’accord scandaleux est signé qui transforme la Turquie en un immense camp de réfugiés. Il permet au président Erdogan de s’attaquer massivement aux Kurdes en laissant de côté DAESCH – à qui il aurait même livré des armes… 2013 c’est aussi l’année des négociations entre Erdogan et Öchalan, dans sa prison. Négociations poudre aux yeux ? Pour faire oublier les scandales financiers du régime, Erdogan étant à ce moment là Premier ministre ?
Beaucoup de questions se posent. L’implication des services secrets turcs ou d’une fraction ? Quelle est la place de la confrérie Gülen, un temps allié à Erdogan aujourd’hui ennemis irréconciliables ? Qui a commandité les assassinats ? Laure Marchand réussit à être optimiste en pensant que la lutte à mort qui s’engage entre Erdogan et Gülen – aujourd’hui réfugié aux Etats-Unis et bien gardé – pourrait laisser passer des éclats de clarté sur cette affaire qui a aussi une dimension féministe.
Nicolas Béniès.
« Triple assassinat au 147 rue La Fayette », Laure Marchand, Solin/Actes Sud.