UIA Jazz, histoire de la batterie

Bonjour,

Nous nous sommes engagés dans une voie étrange : essayer de définir le jazz. Commencé l’an dernier, ce voyage nous conduit, pour cette année et pour essayer de cerner cette musique incernable à un instrument, la batterie, emblématique du jazz et de ses transformations. Aucun compositeur de musique symphonique n’a intégré ce monstre créé de toutes pièces par une musique à la rencontre de tous ses affluents et de toutes les cultures qui se retrouvent sur le sol américain. Une exception, Darius Milhaud qui l’intégrera pour une expérimentation sans suite.
L’histoire de la batterie – drums – est l’histoire du jazz. Lors de notre première session, le 28 novembre 2016, se sont fait entendre les premiers grands batteurs en particulier, « Baby » Dodds (à gauche), « Zutty » Singleton (à droite).
D’autres sont remarquables, comme Vic Berton que nous réentendrons le 30 janvier parce qu’il invente une autre manière de jouer ou Ray Bauduc, l’un des grands batteurs sous estimés qui a longtemps été un pilier de l’orchestre de Bob Crosby – le frère de « Bing » -, et a « inventé » la cymbale chinoise cloutée. Il est resté dans l’ombre, il était blanc mais un grand innovateur. Il faut le voir sur les vidéos reprises sur You Tube.

Cent ans et toutes ses dents ?

Walt Whitman en 1887

Il fallait compter aussi – c’est le centième anniversaire – avec le premier disque de Jazz (jass) de l’Original Dixieland Jass Band, sorti en mars 1917 sous l’étiquette Victor dont les studios étaient à Camden, dans le New Jersey – sur l’autre rive de la rivière Delaware se trouve Philadelphie -, à côté de l’endroit où vivait le grand poète américain Walt Whitman auteur de l’immortel « Leaves of Grass » – Feuilles d’herbe -qui a servi de base à l’anglais américain, un grand poème symphonique. Le jazz y a trouvé une de ses sources dans ces Feuilles d’herbe. Walt Whitman a été secoué par la guerre de Sécession (1861-1865), le nombre de morts sur les champs de bataille dont il garde le cauchemar. Il lance des appels répétés à la fin de toute guerre et de la barbarie. On comprend l’aspiration de ces citoyen-nes au pacifisme. Tellement prégnant que les Gershwin brothers s’en feront l’écho dans leur comédie musicale de 1921, « Strike up the band ». Chez Whitman comme chez Gershwin, la toile de fond tient dans la croyance dans le progrès scientifique et technologique qui devrait libérer l’humanité de ses fardeaux, à commencer par le travail contraint. Cette utopie a été oubliée… Une musique étrange émane de ces strophes… Il a inspiré tous les grands littérateurs à commencer par Mark Twain. Walt Whitman, s’il revenait, ne reconnaîtrait pas sa ville. la criminalité a énormément augmenté…
Il est de ces rapprochements étranges, surréalistes qu’il est nécessaire de souligner. Le jazz participe et parfois ouvre la porte au « Zeitgeist », à un esprit du temps. L’influence n’est pas directe entre jazz, littérature, cinéma mais toutes ces révolutions esthétiques configurent une formation sociale. L’esthétique, l’histoire culturelle si l’on préfère, est un élément fondamental de compréhension des sociétés. Le jazz, plus que tous les autres anti-arts, possède un élément vital, celui de la révolte contre les carcans sociaux, le racisme, la bêtise, le despotisme d’usine et la violence d’État.
Fermons la parenthèse. Revenons au premier disque de Jazz – même si Philippe Baudoin a retrouvé une première mention du terme jazz en 1906 -, mais c’est bien en 1917 qu’il devient un terme usuel pour qualifier ce type de musique. On parlera aussi de Hot Music. Le vocabulaire est encore incertain. Pourtant, Scott Fitzgerald banalisera le cette appellation en mettant au centre de ses romans le « jazz age » qui qualifiera aussi les « roaring twenties », les années 20 rugissantes. C’est aussi le temps de la garçonne, du début des mouvements de libération des femmes, avec les « suffragettes » notamment qui auront gains de cause d’abord aux Etats-Unis en obtenant le droit de vote dés les années 20. La sortie de la guerre c’est à la fois une liesse étrange qui prend pour emblème le jazz – qui, dans les années 30, envahira la chanson française pour élargir son audience -, la danse, l’exaltation du corps, une grande misère, des conditions de travail qui n’ont pas changé, des salaires faibles en même temps que les « gueules cassées » – elles sont vraiment cassées, sans parler des estropiés et autres membres coupés comme le bras de Blaise Cendrars qui aimât aussi le jazz – envahissent les rues. Les Anciens Combattants se sentent délaissés par la République et se tournent vers le Colonel de la Roque qui ne sait pas danser au son du jazz.

Le contexte, le « Zeitgeist » de ces années du début du 20e siècle sont rythmées par le jazz. particulièrement en France qui accueillera le revue nègre avec Joséphine Baker et Sidney Bechet.

Revenons aux batteurs. Pour l’ODJB, ce sera Tony Spargo. qui sera copié.
Nous l’avons entendu lors de la première séance malgré la mauvaise qualité du son, il bat le 4/4 sur le temps, et trouve sur son chemin le Cha-Da-Ba. Une technique du tambour militaire, « remarquable » ajoute Georges Paczynski dans « Une histoire de la batterie de jazz » (éditions Outre Mesure, Paris 1997).
C’est aussi le temps, cette année là, des révolutions technologiques. Le rouleau, invention d’Edison, laisse la place au 78 tours qui l’emportera largement. Il restitue mieux la musique – notamment le jazz et le swing qui son élément clé – que les rouleaux. Il faut dire que Edison a accéléré le changement. Il taxait tous les utilisateurs de son invention. Il pratiquera de la même façon pour le cinéma dont il possédait le brevet. Raison pour laquelle, les producteurs iront s’installer sur la Côte Ouest, à Los Angeles, la législation de la Californie ne permettant pas de taxer les producteurs…
Le jazz, le moderne celui de l’ODJB, débarque en France le 31 décembre 1917 et le 1er janvier 1918 avec l’orchestre de Jim Europe Reese et son batteur « Buddy » Gilmore, responsable, en 1914, du premier solo de batterie déjà avec Jim Europe. Il servira d’introducteur à Tony Spargo et à beaucoup d’autres. Il restera en France dans les années 20 se produisant un peu partout.
« Baby » Dodds fera de même comme Zutty Singleton, sans utilisation de la cymbale dite « Charleston ». Pour ces deux batteurs des enregistrements réalisés dans les années quarante permettent de goûter leur jeu dans des conditions techniques plus en phase avec nos critères.

Notre deuxième session ce 30 janvier 2017 sera le deuxième chapitre de cet essai de définition. Je l’ai déjà noté en introduction, l’utilisation intensive de la cymbale Charleston (dite aussi Hi Hat) changera la donne et la batterie. Plus de souplesse, plus d’ouverture, plus de respiration, la batterie devient instrument-roi sans le faire savoir. Il semble bien donc que ce soit Vic Berton et non Kaiser Marshall – batteur de l’orchestre de « Smack » pour les intimes, Fletcher Henderson pour l’état civil, créateur du big band moderne dans lequel est passé Louis Armstrong, Coleman Hawkins – qui soit le véritable innovateur. Alain Gerber défendait George Stafford comme étant responsable de cette utilisation – batteur de l’orchestre de Charlie Johnson lié au club Small’s Paradise de New York, un orchestre responsable de beaucoup d’innovations dans tous les domaines de cette musique -, batteur bien oublié aujourd’hui. Il a enregistré avec Eddie Condon en 1929, un succès : « I gonna stomp Mr Henry Lee » ( que nous entendrons).
Dans cette fresque, les batteurs blanc dit « dixielanders » – le Dixieland, partie du Sud des Etats-Unis associée au racisme, aux États « Jim Crow » comme on dit aux Etats-Unis, est un qualificatif pour les musiciens-nes du jazz New Orleans mais ils sont blancs, un blanc spécial certes – sont souvent oubliés comme Ray Bauduc (à gauche), batteur important qui, le premier, se servit de la cymbale clouté chinoise ou George Wettling (à droite).

Pour cette séance, Nous écouterons d’abord ces batteurs- drummers – Ray Bauduc et George Wettling puis nous passerons aux batteurs de la période de ces années 30, appelée « Swing » ou l’ère des big bands, qui forgeront un style qui donnera à l’instrument une fonction essentielle dans ces grands ensembles, maintenir la cohésion de l’ensemble.
Ces batteurs ont nom « Jo » – pour Jonathan – Jones, chez Count Basie, Gene Krupa (photo ci-contre) pour Benny Goodman puis pour son propre compte, Chick Webb, bossu mais conduisant d’une main de fer et souple son grand orchestre, Sidney Catlett, « Cozy » Cole représentent aussi des passeurs du « Swing » au Be-bop.

Jo Jones, batteur de l’orchestre de Count Basie, faisait partie de « l’American rhythm section » avec le guitariste Freddie Greene – qui resta avec Basie sa vie durant -, le contrebassiste Walter Page, Basie au piano. « Every Tub », Count Basie, 1938

Enregistré en 1958, avec les frères Bryant, Ray (p) et Tommy (b), « Jive at five » qui fait entendre Jonathan dans de meilleures conditions techniques mais qui indique que le jeu de Jo Jones a évolué, qu’il a subi l’influence des batteurs plus jeunes qu’il a, dans un premier temps, influencés.

Gene Krupa, après Benny Goodman, avait monté son propre orchestre, « I hope Gabriel likes my music » fut un relatif succès, en 1936 :

Anita O’Day, chanteuse de son orchestre, « Let me off uptown » avec Roy Eldridge qui lui donna réplique, vocal et trompette. Il fut, sur scène, Roy – « Little jazz » -, la vedette de l’orchestre mais pour entrer dans un hôtel…

Sidney Catlett (photo ci après) sera le passeur, un peu comme Cozy Cole. En 1947, il est avec Louis Armstrong, un concert à Boston. Il joue sur « Mop Mop »

En 1945 avec Diz et Bird, sur Hot House

Le troisième volet de cet essai de définition nus fera visiter les batteurs du bebop. Il nous faudra poursuivre l’an prochain pour entendre d’autres manières de servir le jazz…

Nicolas Béniès (à suivre)

Toutes les informations proviennent de « Une histoire de la batterie de jazz » de George Paczynski, Éditions Outre Mesure
De Philippe Baudoin dans les livrets qui accompagnent les Vol 1 à 4 de la collection défunte (malheureusement), « Masters of Jazz », CD qui illustrent et complètent Paczynski et du même Baudoin, « Une chronologie du jazz », aux éditions Outre Mesure.