La crise systémique perdure

Risques de crash financier et de récession.

Le « négationnisme » de la démocratie, du libre débat se répand. Pierre Cahuc et André Zylberberg, économistes du travail, affirment, dans « Le Négationnisme économique » que l’économie est devenue une science expérimentale comme la physique ou la chimie renouant ainsi avec les vieilles lunes libérales. Sans s’apercevoir que l’économie est politique, qu’elle se doit de critiquer et de proposer des solutions pour faire évoluer la société. Faute de cette vision critique, l’analyse n’est pas possible… Comprendre le contexte de crise systémique est nécessaire pour appréhender la conjoncture.(voir les articles précédents sur ce même blog)

L’incertitude est une donnée clé du contexte général et de la conjoncture. Incertitude qui se traduit par une Bourse qui fait le « lapin » – « Bunny ». Le CAC 40 – pour cotation automatique en continu, qui réunit les 40 valeurs les plus importantes, l’indice clé de la Bourse de Paris – connaît, depuis le 15 août 2015 (chute des Bourses chinoises), des évolutions limitées. Entre 4200 et 4500 points. Comme le lapin, il reste assis sur son derrière en regardant à droite et à gauche. Un symptôme de cette incertitude qui empêche toute prévision.

Toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle crise financière…
Les banques et les assureurs sont dans l’œil de ce cyclone. Les valeurs bancaires, au niveau de la zone euro, ont perdu 74% depuis l’entrée dans la crise systémique en août 20071. Les créances douteuses restent l’apanage des banques italiennes toujours sous le coup d’une faillite.
Fait aggravant la politique monétaire de la BCE – Banque centrale européenne – menace la survie des banques d’investissement et des assureurs traditionnels. En réponse à la crise financière venant de Chine le 15 août 2015, la BCE, à l’instar de toutes les banques centrales y compris celle de Chine, s’est lancée dans l’aventure des taux d’intérêt négatif. Aventure ? Le monde capitaliste n’a jamais connu une telle situation. C’est inédit et comme tel facteur d’incertitude.
Désormais les obligations de la dette publique, au moins pour les gouvernements français et allemands, se négocient à des taux négatifs. Il faut insister sur leur concrétisation : les prêteurs paient les emprunteurs ! Non seulement le service de la dette est inexistant mais en plus il baisse.
La BCE, dans son souci de lutter contre la déflation qui sévit à la fois dans les pays capitalistes développés et sur le marché mondial – le prix des matières premières ne remontent pas de manière significative – veut élargir ces taux d’intérêt négatifs aux grandes sociétés. Personne ne peut dire si elle en aura le temps… La raison officielle : renouer avec l’investissement productif. Cette manne de liquidités se traduira plutôt par une incitation supplémentaire à la spéculation financière. La surproduction existante bloque toute velléité de renouer avec l’investissement. Pour augmenter les capacités de production si le marché final baisse…
Le résultat de cette politique monétaire, la baisse du bénéfice des banques et des assureurs de l’assurance vie « en obligations euro » les obligeant à diversifier leur portefeuille. La BCE, consciente de cet effet, rachète massivement les obligations d’Etat. Elle en détient 1000 milliards d’euros faisant d’elle le plus important créancier des Etats. Elle rachète ces titres sur le marché secondaire par une création monétaire jamais vue, 80 milliards par mois.
Combien de temps durera cette politique ? Personne ne le sait. Mais elle ne peut pas durer. Les doutes sur son efficacité commencent à se propager. La déclaration de Mario Draghi le 8 septembre 2016 était vide de mesures nouvelles. La crise obligataire est inscrite dans les taux d’intérêt négatifs. Le jour où les taux d’intérêt remontent, le marché obligataire s’effondre. Et la BCE n’aura plus de munitions pour intervenir, la crise financière sera plus profonde que les précédentes.
La FED a bien compris ce danger. Elle voudrait remonter ses taux de l’intérêt pour retrouver des marges de manœuvre. Mais la croissance aux Etats-Unis reste relativement faible. Hausser les taux directeurs trop brutalement tuerait dans l’œuf cette croissance. Le risque est important. Pas seulement pour les Etats-Unis mais aussi pour les pays émergents confrontés à l’appréciation du dollar sur le marché des changes accroissant leur service de la dette, au moment où la récession ou la baisse de la croissance (pour la Chine) les frappe. La crise financière se rajouterait à celle économique pour ouvrir la porte à une profonde récession, une dépression.
Cette divergence de politique monétaire entre les banques centrales perturbe les marchés financiers et les taux d’intérêt ont tendance à remonter pour les emprunts d’État. Même s’ils restent globalement négatifs pour le moment. L’incertitude se traduit toujours par la hausse des taux de l’intérêt même si les taux directeurs et d’escompte de la banque centrale sont négatifs. Les institutions financières sont dopées à l’afflux de liquidités venant de la BCE. Mais, pour avoir un effet, il faut augmenter la dose à chaque fois…

…et pour une crise économique.
La plupart des conjoncturistes, qu’ils soient de l’INSEE ou de l’OFCE2 n’arrivent pas – problème de formation sans doute – à relier crise financière et crise économique. Pourtant, depuis août 2007, il est loisible de s’apercevoir que la crise financière provoque une crise économique profonde. Ils n’ont pas totalement compris le nouveau régime d’accumulation3 qui s’est mis en place dans les années 1980-90, qu’il faut qualifier « à dominante financière ». Autrement dit, les critères de la finance se sont imposés à toute la société capitaliste, justifiés par l’idéologie libérale. Court-termisme et distribution du capital aux actionnaires en sont les principales mamelles comme la nécessité pour les grandes entreprises de créer leur propre banque pour mieux spéculer sur les marchés financiers. La corruption généralisée est aussi un des données de ce monde.
Ce type de fonctionnement perdure malgré la crise elle-même faute de déterminer une nouvelle conception du monde. Une des conséquences porte sur la faiblesse de la croissance qui provient de la baisse importante de l’investissement productif. La désindustrialisation provient aussi de ce système d’interaction entre la finance et « l’économie réelle » pour employer les termes en usage.
Le risque de récession est souvent sous estimé. La dernière note de conjoncture de l’INSEE en est un exemple. Après avoir claironné que les résultats du premier trimestre, +0,7% allaient se poursuivre pour atteindre au moins 1,5% pour l’année 2016, ils ont été obligés de constater que les résultats du deuxième trimestre, -0,1% de croissance, infirmait leur optimisme. Le « ça va mieux » montrait ses limites. Ces 0% s’explique par une baisse de l’investissement des entreprises et l’augmentation faible de la consommation des ménages. Les destructions d’entreprises – Alsthom est un cas d’école – se poursuivent sans que de nouvelles branches se créent pour répondre notamment aux mutations climatiques et à la crise écologique. L’enfermement dans le court terme, la crise politique qui touche les « élites » bloque toute capacité d’envisager la construction d’un futur…
Dans la conjoncture, le Brexit et les attentats renforcent l’incertitude. Au-delà de la zone euro, c’est toute la construction européenne qui est menacée de disparition. Pas seulement à cause de la sortie de la Grande-Bretagne4 mais surtout par les modalités mises en œuvre autour du marché unique depuis l’Acte unique de 1986. L’Europe ne connaît comme référence que l’idéologie libérale au moment même où cette idéologie est en crise et n’est plus capable de justifier les politiques actuelles qui restent d’inspiration libérale. En juillet 2015, les gouvernements de la zone euro ont imposé à au gouvernement grec une drastique politique d’austérité. Une imbécillité, ces mesures ne pouvaient qu’accentuer la récession et la crise financière. Le gouvernement grec surendetté était en position de faiblesse. Cet oukase est apparu aux yeux de toutes les populations comme profondément anti démocratique.
Rajoutons la donne géopolitique : « nouvelles guerres » transforment le monde créé par les anciennes puissances coloniales sans que de nouveaux tracés apparaissent. Elles renforcent l’incertitude. Nous sommes entrés dans le basculement du monde…
Nicolas Béniès.

Petite réflexion supplémentaire. En écoutant la chronique de Bernard Guetta ce matin sur France Inter (le 3 octobre 2016), m’est apparu une confusion. La crise de la social démocratie dont il parlait, crise qui ressemble, disait-il aussi, à une mort clinique – c’est la fin d’une époque, d’une ère même – trouve ses racines, je résume, dans la crise de la forme sociale de l’État dite « Etat-Providence », le fameux « welfare state » des pays nordiques. Une manière d’éviter la responsabilité première des politiques d’inspiration libérale dont le soubassement est justement de « diminuer » le poids de l’État sur le marché pour permettre, de par son fonctionnement même, l’équilibre général pour reprendre la rhétorique habituelle des néo libéraux d’aujourd’hui au titre desquels il faut compter Cahuc et Zylberberg qui voudrait que l’économie politique ressemble à une « science expérimentale », une impossibilité dans les termes.
Guetta ne dit pas que les sociaux démocrates ont participé à l’assassinat programmé – il n’est pas encore totalement réalisé, l’arme est le poison du libéralisme qui continue à dominer – de la forme sociale de l’État qui représentait leur orientation politique et leur crédibilité.
La mort des parti socialiste provient plutôt de l’adoption des préceptes du libéralisme. Ils ont conduit cette même politique dans tous les pays, y compris dans les pays d’Europe du Nord présenté comme un modèle. Là aussi l’État providence est en train de consumer, laissant la place à une forme répressive de cet Etat, incapable de légitimer un gouvernement qui se dit « de gauche ».
Ces gouvernants issus de la gauche ont tué la gauche. Ils suivent le chemin de Matteo Renzi en Italie créant de nouveaux partis qui brouillent les frontières entre la gauche et la droite, frontières qui, pourtant, perdure.
La volonté de Manuel Valls – il ne s’en est jamais caché – est de transformer, refonder un parti démocrate à l’italienne sur la base de la défaite de la gauche, de sa mort. Il ne veut pas « sauver » le PS, il veut le « sortir » de cette gauche dont il ne veut plus pour aller vers de nouveaux horizons qui ouvrent une belle place aux politiques démagogiques qu’elles soient d’extrême-droite ou plus « chewing-gum » comme en Italie justement. Seule, pour l’instant, l’Espagne offre une alternative avec « Podemos » qui devra résister à l’entonnoir du pouvoir. Le PSOE, comme le labour est en train d’éclater. le débat est profond entre les tenants de la gauche – « vraie » n’est même pas nécessaire – et l’adhésion pure et simple au libéralisme.
Un débat qui n’intéresse pas seulement le PS, mais l’ensemble du « peuple de gauche » pour utilise run terme qui ne veut rien dire mais sert d’image.
Pour reprendre la chronique de Guetta, la crise profonde de la social-démocratie est en lien avec la déstructuration de la forme sociale de l’État via l’adoption des politiques d’inspiration libérale qui bloque toute possibilité de réformes sociales pour améliorer le niveau de vie du plus grand nombre et, au-delà, toute vision d’avenir.