Rendez-vous à Coutances

Le jazz au temps du Front Pop.

Le 3 mai 1936, deuxième tour des élections législatives. La Parti Socialiste est en tête. Un nouveau gouvernement est possible. Léon Blum, futur Président du Conseil, attend. Respectueux des institutions, il ne veut pas prendre la pouvoir mais l’occuper. Les grèves se déclenchent, joyeuses. La danse est omniprésente. On danse dans les usines devant les machines, devant les étals morts des grands magasins, dans les rues. Au son de l’accordéon à qui il arrive de prendre des accents nouveaux. Tony Murena, Gus Viseur entre autres, le feront sonner swing.
On chante. Tout va très bien madame la marquise, une manière de conjurer le sort. De vouloir être heureux.

C’est difficile. Le patronat n’aime pas les danses. Ni le jazz, musique de « Nègres » comme on dit à l’époque soit pour la valoriser, soit pour la dévaloriser. Les mots, comme les insultes ont une histoire, un contexte.

Ce patronat sait ce que signifie la lutte des classes. Dans tous les domaines. Notamment idéologique. Il se servira de l’augmentation des prix, due en partie à un retour imbécile à l’étalon or et à la dévaluation du dollar, pour faire reposer la responsabilité sur la réduction du temps de travail à 40 heures. Même si les chiffres manquent, la rhétorique de Alfred Sauvy, alors conseiller de Paul Reynaud, est empli de la musique patronale, musique d’un temps dépassé. La semaine de 48 heures avait mis en place à la fin de la première boucherie mondiale pour « récompenser » la classe ouvrière de son comportement patriotique. Mais la journée de 8 heures est une revendication encore actuelle. Dans les usines, les montres sont interdites. Le patron a la libre disposition du temps. Il peut trafiquer les horloges. Les « petits chefs » sont là pour faire régner le désordre de manière à augmenter le rendement. Travailler plus pour abrutir les salariés et en faire des animaux dociles qui ne savent que suivre des consignes sans être des citoyens. Si je n’ai pas le féminin, c’est pour la raison que cette situation est pire encore pour les femmes. Il faudra attendre 1944 pour qu’elles aient le droit de vote
Pour le patronat, faire reculer la classe ouvrière est impératif. Tous les moyens sont bons. Y compris la menace fasciste.
le gouvernement de Front Populaire réunira PS et Radicaux – une alliance paradoxale de gauche et de droite- soutenu sans participation par le PCF. C’est le grand tournant de l’internationale stalinienne vers les Front Populaire après la période de « classe contre classe » qui avait permis l’avènement de Hitler au pouvoir. Les partis politiques de la classe ouvrière étaient divisés.
La CGT, divisée depuis 1921 – une conséquence du Congrès de Tours -, se réunifie au Congrès de Toulouse en 1935. la CGTU disparait.
Le Parti Communiste Français, issu de la majorité du Congrès de Tours en 1921, avait laissé à la SFIO – Section Française de l’Internationale Ouvrière, la deuxième – la possibilité de redevenir la première force de gauche. 1936 sera une grande date. C’est là qu’il devient le premier parti de gauche. Pour s’en apercevoir, il faudra attendre la fin de la deuxième guerre mondiale…
l’environnement international est gros de nuages noirs. Depuis 1933, Hitler est au pouvoir en Allemagne. Il a été nommé comme chancelier par des voies légales. Mussolini et ses « fasci » sont à la tête de l’Italie depuis 1922 et la guerre civile espagnole centralise tous les regards et toutes les espérances.
Pourtant on danse.
Les créations sont multiples. En 1935, « Les 39 marches », film d’Alfred Hitchcock, défraie la chronique. Alfred crée son propre temps, un temps étrange, un temps de la mémoire. Une sorte de définition de l’art, de la culture. Django, qui a réapprit la guitare pendant le temps où Sidney Bechet purge une peine de prison de 9 mois – la Justice a été clémente, il a quand même blessé gravement une passante dans cette dispute avec son batteur ou banjoïste pour une histoire de tempo -, émerge. Par la rencontre avec Émile Savitry en 1930, peintre puis photographe, guitariste amateur et fou de jazz qu’il avait découvert lors d’un voyage en Océanie. Il avait ramené des disques de Louis Armstrong qu’il fit écouter à Django qui eut la révélation de son art. Il ne faut jamais oublier Louis Armstrong…
Coleman Hawkins, l’inventeur du saxophone ténor, avait, avant Django, subi l’influence de Louis. Son jeu révolutionnaire dans les années 30 allait faire de nombreux émules. La rencontre entre ces deux futurs génies – en 1935, ils ne le sont pas encore – étaient logiques et eût lieu à Paris comme il se devait, le 2 mars de cette année 1935.
Les chefs d’œuvre attendront le temps du… Front Populaire, en 1937, le 28 avril pour les premiers enregistrements du label Swing créé par Charles Delaunay. Le dit Charles avait eu la révélation du jazz à 20 ans en 1931 en écoutant un concert organisé par le Hot Club…
Ce 28 avril 1938 donc, Coleman Hawkins, Benny Carter (alto sax et arrangeur), Alix Combelle, André Ekyan (as), Stéphane Grappelli (p), Django (g) Tommy Bradford (dr) : Honeysuckle Rose

Mais c’est « Minor Swing », enregistré par le quartet du Hot Club de France, avec Stéphane au violon, qui représente, pour moi (voir ma contribution au livre collectif « Éclats du Front Populaire », Syllepse), la quintessence de ce moment de combat et d’espoir.

Cette année 1937 est une année marquée par l’exposition universelle qui a lieu à Paris et les musiciens de jazz sont présents en très grand nombre. La revue Jazz Hot prend son essor… Django joue avec presque tout le monde.

Juillet 1937, c’est déjà la fin… Il reste des traces.

En novembre 1938, Grève générale appelée par la CGT. Échec. La révolution espagnole est écrasée dans le sang par les troupes marocaines du général Franco et par l’aviation allemande qui réalise des tests pour les prochains affrontements. La fin de l’espérance…

« Swing 39 » toujours avec le quintet exprimera cette fin de période :

Rendez-vous à Coutances, aux Unelles, vendredi 6 mai 2016 à 15h30, pour ce 80e et découvrir des musiciens de jazz français et américains. Cette période est aussi celle des Big Bands aux Etats-Unis, le moment où le jazz est populaire. Pour entendre cette musique, pour danser éventuellement… C’est gratuit.

A vendredi.

Nicolas Béniès.

"Swing", première période.

Certaines de ses pochettes sont poétiques et font référence comme ici à la biographie du musicien. "Diz" avait dit que la première fois qu'il était venu à paris - en 1937, il avait 20 ans -, avec l'orchestre du tromboniste "Dickie" Wells, il avait fait le tour des bordels de la Capitale. Il exprimait de cette manière ironique, son dépit. les "cieux" de l'orchestre l'avait empêché de franchir les portes du studio "Swing". Dommage. A cause de ses questions de préséances, était ratée la rencontre Django/Diz. Le faire survoler Paris en 1953 était une belle revanche... Pochette de Burt Goldblatt pour le 25 cm original.

Certaines de ses pochettes sont poétiques et font référence comme ici à la biographie du musicien. « Diz » avait dit que la première fois qu’il était venu à paris – en 1937, il avait 20 ans -, avec l’orchestre du tromboniste « Dickie » Wells, il avait fait le tour des bordels de la Capitale. Il exprimait de cette manière ironique, son dépit. les « cieux » de l’orchestre l’avait empêché de franchir les portes du studio « Swing ». Dommage. A cause de ses questions de préséances, était ratée la rencontre Django/Diz. Le faire survoler Paris en 1953 était une belle revanche… Pochette de Burt Goldblatt pour le 25 cm original.