Une idéologie et des politiques à mettre au rencart

Vive(ment) la reprise

Les attentats à Paris du vendredi 13 novembre représentent un tournant dans la situation politique française et, peut-être, internationale. La remise en cause des libertés démocratiques est à l’ordre du jour comme fausse réponse au contexte de conflits désormais mondialisés. Ces attentats permettent de faire oublier la politique économique du gouvernement. Les conséquences seront de faible ampleur sur l’économie française.

La question était sur toutes les lèvres et reviendra dans les débats qui viennent. La reprise économique est-elle une réalité ou une incantation de gouvernement en perte totale de boussole et incapable d’imaginer une politique différente de celle issue des préceptes du libéralisme ?

Une reprise faible
« Le Monde » a gagné la palme du titre le plus tarabusté de l’année : « En France, la croissance se raffermit mais reste poussive » (1), une manière de refuser de prendre position. Regardons les chiffres. Au premier trimestre 2015, +0,7%, deuxième 0%2 et au troisième, dernier chiffre connu – et c’est une estimation provisoire avec une marge d’erreur -, +0,3% soit la possibilité d’atteindre 1% à la fin de l’année. De quoi crier victoire ?
Que nenni ! D’abord parce que cette augmentation du PIB au premier trimestre provient de la hausse de la consommation des ménages liée en partie aux soldes et à la baisse du prix du pétrole, que le deuxième a vu une faiblesse de la consommation des ménages sans être relayé par aucun autre moteur de la croissance particulièrement l’investissement des entreprises et que le troisième a vu une très faible relance des investissements des entreprises à hauteur de 0,7%. Une reprise faible qui ne peut générer des créations d’emploi pérennes. Le timide recul du chômage en octobre ne doit pas faire illusion. Il provient, pour l’essentiel, de l’augmentation des « emplois aidés » dont les associations ont un féroce besoin pour continuer d’exister.
La plupart des commentaires oublient les conséquences de la politique économique d’austérité sur la conjoncture économique. La baisse des subventions de l’État aux collectivités territoriales se traduit par la chute des investissements publics et la diminution programmée de 50 milliards par an des dépenses de l’État dépriment l’économie. Dans le même temps, les politiques d’entreprise de baisse forcenée du coût du travail diminuent le marché final, exacerbant la concurrence en mettant au premier plan l’impératif de la compétitivité.
Le gouvernement, par la voix d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie, répond favorablement aux demandes du Medef en proposant un démantèlement du droit du travail. A la clé, une déstructuration de la forme sociale de l’État, un recul fondamental des solidarités collectives et des droits pour tous et toutes. C’est un retour au 19e siècle, au contrat individuel de travail avec un éclatement des droits et des devoirs, des statuts de chacun(e) des salarié(e)s. C’est une concurrence renforcée entre les salarié(e)s. C’est un pas en avant dans la contractualisation généralisée, dans la « reféodalisation des liens sociaux » pour citer Alain Supiot. Ce recul du collectif aura des conséquences sur l’ensemble de la société. L’individualisation s’installe et les fanatismes se développeront plus encore. L’espoir d’une transformation sociale recule.
Cette volonté de s’attaquer aux acquis sociaux est dans le droit fil d’une politique qui ne raisonne que dans le cadre du dit « Théorème de Schmidt », l’ex-chancelier social démocrate allemand qui vient de mourir à 96 ans : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain » en sous-entendant les profits de l’entreprise. Or, les entreprises – les grandes en l’occurrence – ont beau enregistrer des profits en hausse, elles n’investissent pas pour autant. Le gouvernement, avec le CICE, Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi, le pacte de responsabilité a centré son intervention sur le rétablissement des marges des entreprises par la baisse des impôts et des cotisations sociales patronales. Ce sera l’équivalent de 40,5 milliards d’euros par an en 2017 soit deux points de PIB.
Cette orientation tourne le dos à la possibilité de lutter contre les inégalités qui gangrènent la société, tuent toute vision d’une progression dans l’échelle sociale et s’oppose à une politique de relance que tout le monde des économistes juge nécessaire, vitale pour sortir de la désespérance sociale actuelle. Les riches deviennent plus riches et les pauvres augmentent et s’appauvrissent. Les écarts deviennent tellement importants qu’ils s’opposent à toute cohésion sociale et font reculer toutes les valeurs de solidarité et du « vivre ensemble ». La « méthode Hollande » ne fonctionne pas. On ne doit pas changer une équipe qui perd…
L’INSEE, comme l’OFCE – Observatoire Français des Conjonctures Économiques – se veulent pourtant optimiste. L’un et l’autre insistent sur le « rebond de l’économie française » avec un bémol qui porte sur la stabilité de l’environnement. Les institutions internationales, FMI et OCDE notamment, revoient toutes les prévisions de la croissance mondiale à la baisse en fonction principalement du recul de la croissance en Chine et des risques d’une crise interne de surproduction.

Une nouvelle crise financière ?
L’OFCE comme l’INSEE a du mal à intégrer dans ses bilans et prévisions l’incertitude et l’instabilité chronique des marchés financiers. La crise financière a forcément des conséquences sur la dite « économie réelle ». La forme du capitalisme actuelle, à dominante financière, subsiste même si elle est profondément en crise. La chute de la Bourse de Shanghai fin août 2015 a fait sentir ses effets sur les bourses du monde entier. Non pas par un lien direct, les autorités chinoises ont réglementé les accès à l’endettement pour « jouer » à la Bourse mais par la contagion, par la prise de conscience que les cours ont trop augmenté dans le contexte d’une très faible croissance. L’économie allemande plus intégrée dans l’économie mondiale que la française et, comme telle, sensible au ralentissement chinois a vu ses exportations baisser et sa croissance faiblir, de l’ordre de 0,3%. Ce ralentissement se fera aussi sentir sur les autres économie de la zone euro et de l’Union Européenne. Une des manières de combattre ce ralentissement serait d’intégrer les immigrés. Tous les économistes, bizarrement, sont d’accord…
Les prémices de la crise sont visibles. Les opérateurs sur les marchés ont les yeux fixés sur les décisions des banques centrales, de la FED et de la BCE. Janet Yellen, la présidente de la FED, et Draghi sont les nouveaux oracles. Leurs déclarations sont attendues et orientent les marchés financiers. Si la FED, la banque de réserve fédérale américaine, décide l’augmentation de ses taux de l’intérêt – aujourd’hui, comme pour la BCE, proches de zéro -, elle déclenchera une crise obligataire. Les obligations à taux zéro se vendront massivement pour acheter les nouvelles obligations à taux plus élevés. Cette attente explique les yo-yo du CAC 40 à la Bourse de Paris.
La BCE quant à elle, sensible à la poursuite de la déflation, la baisse des prix comme résultat de la compétitivité-coût et du désendettement généralisé, veut continuer dans la voie des taux d’intérêt très faible et du « quantitative easing », autrement dit en créant massivement de la monnaie. Elle avait prévu de créer 60 milliards d’euro par mois et Draghi propose d’exploser ce plafond. Il suscite immédiatement les réactions négatives du président de la banque centrale allemande enfermé dans son incompréhension du monde qui l’entoure.
Le président de la BCE a compris qu’il fallait alimenter les circuits financiers pour éviter des faillites bancaires, les chutes brutales des marchés financiers dues à la création de nouveaux produits financiers dans laquelle se sont lancées les banques européennes. Les résultats des hedge funds – des constructions axées sur la seule spéculation financière – se sont inscrits en baisse pour les premiers mois de cette année, une indication de la crise financière qui vient. Ils représentent la quintessence de ces marchés financiers.
Une des dimensions de la réponse à ces crises, financières et économiques mais aussi écologiques et climatiques, se trouve dans la construction européenne comme espace minimum. Or, la zone euro a été incapable de faire preuve du minimum de solidarité avec la Grèce. Au lieu de proposer des solutions viables autour de l’annulation de la dette pour un pays surendetté, elle a serré le nœud coulant en imposant une politique d’austérité drastique et une privatisation tout azimut qui ne résoudra ni la crise financière, ni la récession, ni la crise politique… Au contraire. Il ne s’agit pas de prévision mais de logique !
L’Union Européenne a fait la preuve, et elle recommence avec la politique migratoire, qu’elle est incapable de s’unir, incapable de se légitimer aux yeux des populations pour rendre possible un nouvel espace qui répondrait à la crise de la forme nationale de l’État.(3)
Le monde est en train de basculer. La dimension des destructions actuelles en fait la preuve. Le monde construit depuis la fin de la seconde guerre mondiale est fini. L’incertitude porte sur le monde qu’il faudrait construire pour répondre à cette crise systémique. Le débat sans tabou, passant par le bilan en forme de catastrophe de la politique d’austérité, devrait se mener sinon les portes seront encore plus grande ouvertes à la barbarie. La politique devrait apporter des réponses en faisant preuve d’imagination. Les gouvernant(e)s se sont-ils aperçus que leur schéma d’analyse datait d’un monde mort ?
Nicolas Béniès.

NOTES
(1) Le Monde, « Eco&Entreprise », daté du 14 novembre 2015.
(2) A la rentrée on a découvert que Michel Sapin, ministre des finances n’avait pas appris à compter. Il a déclaré à France-Inter, à la question « 0% au 2e trimestre, ce n’est pas une bonne nouvelle ? », que 0,7% + 0% = 0,7% ! Il n’a pas dû assister au cours du math. Il n’est pas possible d’additionner des pourcentages !
(3) La revue « Contretemps », n° 27, octobre 2015, propose un dossier sur la Grèce et une réflexion sur la question de l’Etat comme d’une construction supra étatique.