Des nouvelles de la crise systémique

Une nouvelle crise financière venant de Shanghai ?

Notre monde est Alzheimer. Il perd la mémoire immédiate pour décomposer et recomposer le passé indéfiniment en fonction du présent. Le temps se distend et la compréhension des événements s’évanouit.
Cette réflexion un peu générale pour revenir sur un sujet qui ne devrait pas quitter l’actualité, la chute de la Bourse de Shanghai le 24 août 2015 suivie par toutes les Bourses du monde entier. Les déclarations apaisantes se sont succédées. Sur le thème habituel, pour qui se souvient des prises de position des gouvernements et des « économistes officiels » comme des journalistes après le 9 août 2007 sur la sous estimation de la crise financière qui ouvrait pourtant une nouvelle période économique, « ce n’est pas grave ». The Economist traduit ce sentiment par  – « La Bourse de Shanghai s’est effondrée le 24 août mais elle est peu connectée à l’économie réelle » (cité dans « Courrier International » n° 1296 du 3 septembre 2015). L’hebdomadaire britannique en rajoute : « La Chine n’est pas en crise ». Ses propres erreurs d’analyse ne l’ont pas vacciné. Il faut dire que toute la presse s’est empressée d’oublier cet épisode qui, fait aggravant, a eu lieu pendant les vacances.
Ce verbiage s’appuie, comme à l’accoutumée, sur les dogmes libéraux qui font de la monnaie un voile entre les échanges sans comprendre les liens existants entre le capitalisme financier et « l’économie réelle », l’accumulation du capital pour parler autrement. Or, la domination du capitalisme financier représente la forme de ce capitalisme né dans les années 1980-90, années de victoire du libéralisme économique. Les critères de la finance sont devenus les critères dominants. Autant dire qu’une crise financière ne peut rester confinée aux marchés financiers. Elle connaît une extension vers l’ensemble de l’économie. Autrement dit, la crise financière se traduit ipso facto par une crise économique.
La chute de la Bourse de Shanghai aura des conséquences sur les possibilités d’investissement des entreprises chinoises ou installées sur le territoire de la Chine et, plus encore, sur les possibilités de construire, pour les autorités chinoises, un marché intérieur.
Le gouvernement chinois a pris en compte la nouvelle donne mondiale ouverte par la crise financière d’août 2007. La baisse de ses exportations vers les pays capitalistes développés – en premier lieu des États-Unis – due à la récession profonde de 2008, l’a obligée à repenser son modèle de développement. Sa croissance ne peut plus être tirée par les exportations, il lui fallait donc construire un marché intérieur en acceptant une augmentation des salaires et, ce, d’abord dans les entreprises transnationales installées sur son territoire.

La transition est difficile et demande du temps. Mais aussi une crise. Le mode de production capitaliste a des modalités de fonctionnement qui se traduisent par des crises périodiques pour ouvrir la porte à des changements, au dépassement des limites précédentes.
La croissance faiblit depuis quelques années. Une croissance dont a besoin le pouvoir en place pour se légitimer. Elle permet de faire miroiter une possibilité d’ascension sociale malgré des inégalités profondes. Ainsi que de faire face aux révoltes paysannes qui marquent le paysage social.
Cette nécessité politique explique la politique économique de relance qui passe par des crédits renouvelés à l’ensemble de l’économie pour permettre à la fois les investissements et la hausse du pouvoir d’achat. Dans le même temps, l’économie chinoise prend sa place sur le marché mondial via sa monnaie, le renminbi (yuan) qui désormais flotte sur le marché des changes. La Banque Centrale chinoise soutient sa monnaie pour qu’elle ne baisse pas plus que les 2% décidés par le gouvernement. Les réserves de change sont conséquentes. Politiquement, le Parti Communiste Chinois prétend qu’il ne mène pas de guerre des monnaies. C’est le marché qui décide…
Désormais, selon toute vraisemblance, la Chine connaît une crise de surproduction classique. Suraccumulation du Capital d’abord. Les investissements ont été trop importants par rapport aux capacités de rentabilité du capital engagé qui provoque la possibilité de faillite des entreprises ou, pour le moins, une baisse du profit. Surproduction de marchandises ensuite. La production a trop augmenté par rapport aux capacités d’absorption du marché – qu’il soit intérieur ou extérieur. La récession et la déflation menacent.
La Chine pèse 15% de la richesse mondiale. La baisse brutale de sa croissance à un impact direct sur toutes les économies d’Asie du Sud Est, à commencer par la Corée du Sud et sur toutes celles des pays du continent africain qui avaient fait l’objet d’énormes investissements de la part des capitalistes chinois. Sans parler de la Russie, déjà en récession, qui comptait sur les revenus de son gaz vendu à la Chine ou des pays dits « émergents » comme le Brésil qui exportent vers la Chine.
Cette baisse a déjà des répercussions sur les marchés de matières premières, pétrole en tête. La surproduction est visible sur l’ensemble de ces marchés. Elle se trouve renforcée par la baisse de la croissance chinoise grand importateur de matières premières. La chute des prix, résultat de cette surproduction et de la spéculation à la baisse des opérateurs sur les marchés financiers se traduit par des possibilités de surendettement de tous les pays exportateurs de matières premières qui tablaient sur cette rente pour financer leur politique. Cette chute a des effets positifs, à court terme, pour les économies développées importatrices permettant de l’affichage d’une très faible croissance comme c’est le cas pour les pays de l’Union Européenne. La conséquence à moyen terme est en forme de catastrophe soit une très faible croissance mondiale avec le risque d’une récession mondiale synchronisée.
La chute de la Bourse de Shanghai provient de la nécessité de détruire des actifs, des actifs surévalués dans ce contexte de croissance plus faible que prévu. La crise financière se diffuse à la vitesse des réseaux sociaux. Pour avoir une idée de la profondeur de ce lundi noir, la Bourse de Londres a chuté de 14,72%, Paris de 13,81 et New York de 9,23% par rapport à leur pic respectif en 2015. La signification c’est la baisse des actifs côtés, soit des pertes sèches.
Ces chutes renforcent l’incertitude mondiale. Le lundi noir du 24 août qui a touché les Bourses du monde entier s’est traduit par un mini-krach. La baisse a été aussi profonde que celle d’août 2011 qui avait vu l’ouverture du deuxième acte de la crise financière. La Bourse de Paris n’est pas encore revenue à son niveau d’avant le 24 août. Plus encore, le monde capitaliste retombe dans une nouvelle crise financière.
Les prévisions du FMI de la croissance mondiale viennent d’être revues à la baisse. Ce sera moins que les 3% prévus précédemment. La crise financière elle-même, suivant le scénario même de la crise d’août 2007, approfondira la récession.
Les politiques économiques ne sont pas à la hauteur. Continuer dans la voie des politiques d’austérité est une imbécillité. Comme pour les crises précédentes – dont personne parmi les gouvernants ne tire le bilan – baisser le marché final ne peut qu’approfondir la récession ouvrant la porte à une énorme dépression.
Les « turbulences » – pour employer un mot que la presse financière aime bien – sont devant nous. Les « yo-yo » des marchés financiers s’orientent vers de nouvelles baisses plus importantes que celles d’aujourd’hui. Ce n’est que le début de ce nouveau soubresaut d’un monde en train de basculer et qui ne sait pas répondre à la crise systémique actuelle qui est à la fois financière, économique mais aussi écologique, culturelle et politique.
Nicolas Béniès, le 4 septembre 2015