Louis Armstrong en France, 1948

Chapitre 14 des aventures d’un enfant du siècle

En février 1948, 14 ans après sa première venue en France, Louis Armstrong se produit au deuxième festival de jazz avec son « all stars » à Nice. Une manifestation organisée par Hughes Panassié avec le concours de la ville de Nice et La Radio Diffusion Française qui permettra à Paris Inter de faire entendre ces concerts soit en direct soit en différé. Pas toujours bien enregistrés ou conservés, ces concerts restent comme traces d’une libération mais aussi d’une scission qui marquera longtemps ce monde du jazz, celle du Hot Club de France fondé au début des années 1930.
Louis Armstrong vol 14Un contexte particulier illustré par ce festival de Nice et par la venue salle Pleyel de « Dizzy » Gillespie et son orchestre les 20, 22 et 29 février de cette même année 1948. La plupart des discographies datent ce concert – et j’ai repris cette date dans « Le souffle de la liberté, 1944 le jazz débarque », C&F éditions – du 28 février, oublieuses de cette année bissextile. La remarque vient de Daniel Nevers dans le livret qui accompagne cette « Intégrale » soulignant au passage que Louis et Teagarden y assistèrent or le 28 ils étaient en concert… Un élément important qui indique que les exclusions ne faisaient partie des travers des musiciens de jazz.

Ce n’était pas le cas pour les Hot Club de France. La scission eut lieu lors de l’Assemblée Générale convoquée par Hughes Panassié le 2 octobre 1947 à l’issue de laquelle les excommunications furent prononcées à commencer par celle du secrétaire général de l’association, Charles Delaunay. J’ai voulu raconter cette histoire, entre autres, dans « Le souffle de la liberté » (opus cité), pour la ramener dans l’Histoire.
Louis donc, Satchmo vient en France dans l’avion qui se nomme « Constellation ». Air France, compagnie nouvellement nationalisée par les ordonnances de 1945, est aussi un « partenaire » de ce festival de Nice. Il faut dire que la Présidence de la République est aussi de la partie. Un exploit radiophonique fait aussi partie de ce volume. Une retransmission en direct de l’avion avec quelques mots de Louis et de Mezz Mezzrow, clarinettiste auteur de « La rage de vivre » (avec Bernie Wolfe), un roman sur les premières années du jazz, et futur « père Joseph » de Hughes Panassié.
Pour rester dans la « famille » Panassié on entend aussi brièvement Madeleine Gautier compagne du Hughes s’engageant dans la traduction des annonces de Louis. Elle abandonne rapidement n’arrivant pas à trouver sa place, sa voix est couverte par la musique
Le dernier concert reproduit ici a été donné salle Pleyel le 2 mars 1948. Il a suscité l’ire de André Hodeir dans Jazz Hot, qui regrette de n’avoir pas été invité, à la fois sur les prestations – un programme répété, rabâché d’une prestation à l’autre, nous en sommes aussi les témoins – et sur le public riche, le prix des places est très élevé, et proche des milieux de la Collaboration si on lit entre les lignes de son compte rendu.
Boris Vian, de son côté, envoyé spécial de « Combat » , trouvera lui aussi que Louis est décevant même s’il fait preuve de retenue dans sa critique. Il ne dira pas non plus ce qui se passe dans les coulisses ni le fait que le Hughes n’a pas invité Django malgré le désir de Louis, ni aucun autre musicien français. Le regret de Louis fut partagé par Rex Stewart, cornettiste de l’orchestre de « Duke » Ellington. Il se rattrapera en jouant avec Django à Paris, cette même année (voir l’intégrale Django chez ce même éditeur et présentée par le même Daniel Nevers).
Louis voulait aussi revoir Michel Warlop, violoniste et chef d’orchestre, mort à la fin de cette année 1947…
Les contraintes de l’édition font finalement bien les choses. Ce quatorzième volume s’ouvre avec les enregistrements réalisés par le « All Stars » pour RCA, le 16 octobre 1947, qui permettent d’entendre des thèmes inédits et faire la part belle au talent de Jack Teagarden, tromboniste remarquable et ami proche de Satchmo. Il a un tort rédhibitoire pour cette époque, il est Blanc et Texan qui plus est. La critique française toute tendance confondue qualifie de « fade » le jeu et le chant de Mr T. – le surnom de Weldon, son prénom d’état civil – refusant de tomber sous le charme de duos qui unissent dans un même élan Louis et Jack notamment dans ce « Jack Armstrong Blues » qui fait partie des volumes précédents.
On trouvera aussi des extraits d’un concert vraisemblablement donné au Carnegie Hall le 15 novembre 1947 qui ressemble un peu trop à celui du Town Hall du 17 mai 1947 (voir volume précédent). Le pianiste est encore « Dick » Cary bientôt remplacé, pour cette venue en France par Earl Hines qui avait participé aux chef d’œuvre de Louis de cette année 1928, « West End Blues » et la suite (voir Volume 4 et 5 de cette même intégrale).
Ce « All Stars » mérite bien son nom. Earl Hines, donc, est un pianiste qui ne sait pas se répéter même dans cette atmosphère où chacun(e) garde sa place, lui part à l’aventure comme souvent ; Sidney Catlett, « Big Sid » à cause de sa taille, batteur essentiel, est l’un de ces « passeurs » entre les époques – il joue avec Louis et avec…Charlie Parker -, comme d’habitude il est mis en valeur sur « Steak Face » ; Barney Bigard, clarinettiste qui a fait longtemps partie de l’orchestre du Duke, brille de temps en temps, et Arvell Shawn, bassiste, complète la formation. Insistons pour dire que Teagarden ne dépareille en rien cet ensemble. Il en est même une pièce essentielle palliant toutes les défaillances et liant toutes les interventions.
Ce volume 14 de l’Intégrale Louis Armstrong est une pièce essentielle non seulement de la saga du trompettiste, génie tutélaire du jazz, né le 4 août 1901, mais aussi de celle de la France. Il faut comparer le Armstrong de 1948 à celui de 1934 – les concerts sont aussi à écouter dans cette Intégrale – pour mesurer la différence tout en conservant à l’esprit les contextes dissemblables.
A la fois une leçon de radio – ces concerts ont été diffusés -, de critique de jazz et de ses limites et d’Histoire. Que demander de plus ? Louis lui-même ?
Nicolas Béniès
« Intégrale Louis Armstrong, volume 14, « Constellation 48 » », présenté par Daniel Nevers, Frémeaux et associés.