Europa djazz et jazz sous les pommiers, deux grands festivals de jazz

Le printemps est là, celui des jazz et de la liberté.

Affiche 2014 festival europa djazzLes festivals, pas seulement ceux de jazz, se conjuguent avec la citoyenneté et l’éducation populaire. L’Europajazz – ex festival du Mans – a soufflé sa 35e bougie en élargissant son champ géographique à toute la région – en débordant sur la Basse-Normandie – et ses activités culturelles vers les collèges et lycées, les Maisons d’arrêt, les maisons de retraite, les hôpitaux et même les entreprises et les conservatoires. Jazz sous les Pommiers suit le même mouvement et fait rayonner le jazz dans les mêmes lieux, comme la plupart des autres festivals. Pour lutter contre une image qui colle à la peau du jazz, « intello », « élitiste ». Le jazz est, à l’inverse, liberté pour créer d’autres sons, d’autres univers. Les jeunes musicien(ne)s l’ont bien compris. Ils et elles sont de plus en plus nombreux sans que le public ne se rajeunisse. Un oxymore pour une musique qui n’en manque pas.
Cette 35e édition de l’Europa avait commencé le 15 mars et se terminera le 16 mai pour laisser la place à Jazz Sous les Pommiers qui lui fêtera son 33e anniversaire.
Uri Caine et Dave DouglasLa fin de la fin de l’Europa a lieu au Mans, la ville de naissance, avec la « Grande fête anniversaire du festival » le dimanche 11 mai dans le parc de l’Abbaye de l’Epeau – un lieu idyllique -, de 11h à 17h, une sorte de ballade dans les fanfares, à l’instar de Jazz Sous les Pommiers qui, traditionnellement, le propose le dimanche – cette année le 25 mai. La conclusion, le vendredi 16 mai, sera laissée à Youn Sun Nah, vocaliste de renom qui a su imposer son style dans les mondes du jazz, en n’oubliant pas sa culture d’origine, celle de la Corée, un pays coupé en deux, à l’histoire tourmentée. Concert qui aura lieu au sein de l’Abbaye, haut lieu de concert de ce festival.
Le jazz envahira, comme chaque année du côté de l’Ascension, la petite commune de la Manche, Coutances pour fêter la liberté comme la Libération et le Débarquement. Pour faire œuvre de mémoire – un travail toujours recommencé – et appréhender le jazz non pas comme une musique du passé mais l’étendard de la révolte de la jeunesse à toutes les périodes troublées de notre histoire. Le jazz et la France, une histoire d’amour, de liberté et d’ouverture vers d’autres possibles, des rêves d’un autre monde.
Soixante dixième anniversaire du débarquement oblige, Jazz Sous les Pommiers se vit aussi au rythme d’un passé jamais dépassé. Le jazz est vivant et le reste. La Libération est une fête folle et le jour le plus long, le jour le plus fou surtout pour les populations de la manche. Le débarquement à Omaha Beach fut une violente boucherie. La mer était rouge de ce sang de jeunes gens.
Le jazz et la danse débarquaient tout autant. La danse surtout, interdite par les autorités d’occupation comme par le Régime de Vichy qui partageaient les mêmes conceptions réactionnaires parlant de musique « dégénérée » à propos du jazz même si certains « collaborateurs » faisaient du jazz une musique blanche et française parce que née à la Nouvelle-Orléans. Les concerts de jazz, contrairement à une idée encore répandue malgré des ouvrages savants, étaient légaux et très fréquentés. Pendant la période de l’Occupation un « jazz français » commençait à se développer. Le « bebop » viendra tout éclabousser jusqu’à l’explosion. La nouvelle révolution esthétique écrasera tout sur son passage. Y compris la mémoire qu’il existait un jazz en France avec deux génies, le premier est connu, Django Reinhardt, le second beaucoup moins, Michel Warlop, violoniste et compositeur.
Ce sera le thème de mes conférences, « Le souffle de la liberté, 1944 le jazz débarque », titre aussi de mon livre aux éditions C&F – voir mon blog www.soufflebleu.fr – que je donnerai, en lien avec Jazz Sous les Pommiers à Argentan le 17 mai, à Granville le 23 mai et à Coutances le 30 mai.

jazz sous les pommiers édition 2014Quelques concerts, dans cette édition de Jazz Sous Les Pommiers (JSP), rappelleront ces débarquements – les troupes alliées, le jazz et beaucoup d’autres choses encore. En ouverture, le samedi 24 mai à 14h15, « Normandie 44 », un groupe qui reprendra les chansons « jazzy » de cette époque et Benny Goodman.
Peut-être Glenn Miller, même si ce n’est pas indiqué dans le programme. « In the Mood », composition du saxophoniste Joe Garland qui a repris des « riffs » inventés par les orchestres des années 1920 et arrangé par Glenn Miller lui-même, à été un des thèmes phare à la fois de l’année 1939 et de cette période de la Libération.
Glenn Miller, qui mourra au-dessus de la mer du Nord, sur le trajet Londres-Paris le 15 décembre 1944 et ne pourra pas participer à la fête de la Libération de Paris, major dans l’armée et chef d’un orchestre pléthorique composé de sergents, de caporaux et de soldats de première classe avait construit un répertoire spécifique pour le moral des troupes américaines. Il avait même eu l’idée de proposer à la hiérarchie militaire d’adopter une nouvelle marche issu du jazz, la « Saint-Louis Blues March ». Refus de l’État-major horrifié. Comme les biens-pensants le seront en écoutant « Echoes of France », une improvisation sur la Marseillaise scellant, à Londres, les retrouvailles Django Reinhardt/Stéphane Grappelli en 1946.

Le Big Band de la Musique de l’Air & Samy Daussat, sous la direction de Stan Big-band-Air-630-X320Laferrière fera revivre ces musiques, celle de Glenn Miller comme celle de Django Reinhardt, le samedi 31 mai. Thomas Dutronc se souviendra qu’il fut guitariste de jazz manouche pour évoquer la figure de Django en compagnie de Angelo Debarre, l’un des grands virtuoses de la guitare, le jeudi 29.
Le dimanche, une fanfare parmi d’autres, « Utah Beach Band » – l’une des plages de ce débarquement du 6 juin – rendra hommage aux standards du jazz.
Bill-Carrothers-630-X320-SHLe clou sera une création du pianiste compositeur Bill Carrothers, en quintet et chœur (de 125 collégiens américains et bas-normands), « D Day », pour récréer l’atmosphère de ce temps. Bill Carrothers s’est spécialisé depuis quelques années dans ces évocations du passé pour ne pas perdre la mémoire, rendre ce patrimoine vivant et essayer de créer un avenir. Il est enregistré par le producteur Philippe Ghielmetti qui devrait être présent à JSP.
MontyAlexander630X320Un programme équilibré cette année sans trop de têtes d’affiche sauf le pianiste Monty Alexander qui se situe dans la lignée d’Oscar Peterson tout en faisant la part belle désormais à ses origines jamaïcaines et Dianne Reeves, vocaliste, qu’il faut DianneReeves-630-X-320absolument entendre en concert tellement sa présence est importante. Peu d’enregistrements lui rendent justice. Elle fait partie de ces musicien(ne)s qui se refusent à la reproduction. Avec elle, le swing n’est jamais sur la bande mais « live » et jamais le terme n’a été aussi bien choisi pour Dianne (jeudi 29, le jour de l’Ascension, jour qui lui convient bien). Et une légende, le terme n’est pas trop fort, de la musique actuelle de la Nouvelle-Orléans, Dr John mêlant et entremêlant toutes les racines de la ville à commencer par le vaudou, la musique cajun, zydeco et autres sans oublier le jazz. Une voix rocailleuse qui charrie toutes les vicissitudes de la vie, toute l’histoire de cette ville.
Quelques valeurs sures, habituées du festival, comme le bassiste superbe, jamais décevant, Stéphane Kérecki avec le pianiste John Taylor. Leur album en duo, « Patience » est un modèle de ce genre difficile. A Coutances, ils seront en compagnie d’Emile Parisien, saxophoniste qui fait beaucoup parler de lui et qui sera l’un des grands invités de ce festival – il aura droit à une carte blanche le vendredi 30 mai – et de la vocaliste Jeanne Added. Le pianiste Laurent de Wilde, qui ne s’était pas fait entendre depuis quelques temps, mêlant les sons électroniques et acoustiques, Michel Camillo et Tomatito pour un curieux mélange piano/guitare entre jazz, flamenco et les souvenirs des rythmes afro cubains, le quintet « Voix croisées » du contrebassiste Didier Levallet avec Airelle Besson à la trompette et Céline Bonacina aux saxophones notamment.
Thomas de Pourquery, saxophoniste et compositeur en résidence à Coutances, proposera « La Méga-soufflerie », le dimanche 25 mai, une réunion de 120 souffleurs amateurs bas-normands pour une musique qui se veut disco-funk, un grand moment comme souvent pour ce type de réalisation. Il sera aussi avec son groupe pour un hommage à Sun Ra en compagnie du saxophoniste David Murray, un de ceux qui comptent dans le jazz d’aujourd’hui. Enfin, il aura carte blanche le vendredi 30 mai à minuit et demi alors que l’heure du crime est dépassée.
L’un des moments forts de cette année sera vraisemblablement le concert de la vocaliste dont tout le petit monde du jazz parle, Cecile McLorin Salvant, le samedi 24 mai. Son album sorti l’an dernier, « Woman Child » (Universal) a été un succès – pour un album de jazz.
Un samedi chargé. Outre ceux cités ci-dessus, le trio B.F.G., pour Emmanuel Bex à l’orgue, Glenn Ferris, trombone – un virtuose de l’instrument, il a commencé professionnel à 15 ans dans l’orchestre de Don Ellis – et Simon Goubert batteur, sera aussi de cette fête. Leur album, « Now ou Never » (Naïve) a fait partie des bonne surprises de l’année dernière.
Le contrebassiste Omer Avital qui fera participer le public à la démonstration que le jazz israélien existe et qu’il ne se réduit à Avishai Cohen.
D’autres découvertes seront possibles. Particulièrement les jeudi et vendredi à 12h30, respectivement Théo Ceccaldi trio et Thomas Enhco trio, le samedi à midi pour « Tin Men & The Telephone », des néerlandais.
Sans compter un festival de pianiste tout style confondu de quoi se demander pourquoi le jazz n’a pas plus de fans. A tout seigneur tout honneur, Brad Mehldau, seul devant les 88 touches le samedi 31 mai ;
Jérémy Bruger, le jeudi 29, pour faire vivre une musique très liée à la « Soul », celle de Junior Mance soit un jazz qui répand les fureurs de sa révolte en bulles de joie, en compagnie du batteur supérieur Mourad Benhamou – qui se produira aussi avec ses « Jazzworkers le vendredi 30 ;
Jean-Pierre Como qui fut de Sixum et revisite les musiques cousines du jazz, Philippe Milanta qui se réfère aux mondes du swing toute époque confondue et tous les autres qui se feront entendre dans les groupes invités. Un festival dans le festival.
Le vendredi 30 mai, ce sera une rencontre de Big Bands. Laurent Mignard ne se lasse pas d’évoquer Duke Ellington et Michel Pastre Count Basie. Une « Battle Royal » – titre aussi de leur album « Juste une Trace » – nous est promise.
Franck Tortiller, un ancien résident de JSP, vibraphone et marimba, fera dialoguer ces deux instruments.Médéric Médéric CollignonCollignon, son cornet, sa trompette, son scat, son groupe, Jus De Bocse et un octet à cordes rendront hommage à King Crimson. Le résultat est aléatoire… il faut donc aller voir…
Jazz sous les Pommiers c’est aussi la scène gratuite aux amateurs. Des découvertes là aussi sont possibles, probables. Il faut passer par là surtout si le soleil est de cette rencontre. Je ne vois pas pourquoi l’astre du jour bouderait son plaisir… Des animations notamment deux bals swing, un concert promenade en bus pour une alliance pour le moins étrange entre « Jazz et Châteaux » et, comme à l’habitude, les musiques cousines, le concert pour les petites oreilles.
Six nouveautés pour cette édition. Un pique-nique en musique, le dimanche, une salle supplémentaire, un cinéma « Le Long-court » avec une programmation spéciale de films sur le jazz, une rencontre régionale sur le développement durable, un concert commenté pour cent lycéens et une collaboration avec les médiathèques de Basse-Normandie avec des expositions et des conférences.
Une semaine bien remplie…
Nicolas Béniès.
Europa djazz, jusqu’au 16 mai, rens. 02 43 23 78 99, www.europajazz.fr
Jazz Sous les Pommiers, Coutances, du 24 au 31 mai 2014, rens. 02 3376 78 50 jsp@jazzsouslespommiers.com