L’économie repart ? Vers où ?

Reprise es-tu là ?

Toute la presse s’extasie devant les chiffres faramineux de la croissance en France, + 0,3% au lieu des 0,1% prévu alors que la zone euro est globalement en récession – les ministres d’une manière générale préfèrent le terme bizarre de « croissance négative » – à –0,4%. Les économies espagnoles, portugaises et autres connaissent une moindre récession ou un début de reprise alors que l’Allemagne enregistre seulement +0,4% de croissance.
La bonne nouvelle tient dans la hausse des investissements des entreprises à +0,6% mais pour le seul quatrième trimestre de l’année 2013 après une baisse continue depuis la fin 2011. Pour dire qu’il s’agit d’une faible augmentation qui risque de ne pas se poursuivre malgré les espérances de Pierre Moscovici, le ministre de l’économie et des finances. L’explication fondamentale de cette croissance « miraculeuse » se trouve, comme d’habitude en France dans la consommation des ménages qui a augmenté de 0,5% au quatrième trimestre 2013 par le déblocage de l’épargne salariale.

Sortie de crise ?
Le monde capitaliste, l’Union Européenne seraient-ils sortis de la crise qui débute – il faut le rappeler avec force pour comprendre la situation actuelle1 – le 10 août 2007 par la crise financière.  Une crise systémique qui oblige le capitalisme s’il veut se survivre à lui-même à se révolutionner. Le monde capitaliste est en train de basculer. Cette faible reprise révèle ce nouveau contexte.
La récession de 2008-2009, pour tous les pays capitalistes développés, a été la plus profonde depuis la fin de la seconde guerre mondiale, plus profonde que celle des années 1930.
La théorie des cycles enseigne qu’à une récession profonde succède une reprise de même amplitude. Le ménage qui a été fait, les entreprises qui ont fait faillite, permet aux capitalistes qui ont résisté de repartir de l’avant. Or, 2010, 2011, 2012 enregistre soit une croissance zéro soit une récession. Seule l’Allemagne fait exception avec un taux faible de croissance tiré par les exportations. La France enregistre des désinvestissements qui se traduisent par une poussée des fermetures d’entreprises. On oublie de signaler, dans l’enthousiasme général, que le nombre des faillites n’a jamais été aussi élevée qu’en 2013, à la même hauteur que 2008.
Cette exception à la théorie signe le nouveau contexte dans lequel se débat le capitalisme dont les « élites » dirigeantes – de plus en plus éloignées des préoccupations des populations indication d’une profonde crise politique – semblent ne pas vouloir ou pouvoir prendre conscience. Leur logiciel est resté bloqué au libéralisme alors que cette idéologie se trouve dans l’incapacité de répondre au nouveau monde qui se manifeste après la crise d’août 2007.
La forme de ce capitalisme qui naît dans les années 1980 , à dominante financière – on parlera de régime d’accumulation à dominante financière -, est moribonde. Le capitalisme « financier » ne veut pas mourir et il se défend avec les moyens colossaux qui sont les siens mais il n’a plus d’avenir. Logiquement il faudrait définir une nouvelle forme de capitalisme.
Le « pacte de responsabilité » proposé par François Hollande, une politique de l’offre cohérente en phase avec le TSCG, n’est pourtant pas la réponse adéquate. Il s’inscrit dans le monde ancien. La baisse des cotisations sociales des employeurs se traduira par la hausse des profits mais, contrairement au « théorème de Schmidt » bien connu, les profits d’aujourd’hui ne seront pas les investissements de demain. Les patrons des grandes entreprises se serviront de ce surplus pour augmenter les dividendes des actionnaires, souvent des fonds de pension ou d’investissement ou pour spéculer sur les marchés financiers qui rapportent plus et à court terme.
Ce « pacte » répond à d’autres impératifs. Comme le note l’INSEE dans sa note de conjoncture de novembre 2013 intitulée justement « Une reprise poussive », le taux global de profitabilité des entreprises a baissé et il faut donc trouver les voies et les moyens de l’augmenter par la baisse du salaire indirect faisant diminuer la masse salariale totale. Le CICE – crédit d’impôt compétitivité emploi – avait déjà cet objectif. Il devrait faire remonter, suivant les calculs de l’INSEE, le taux de marge des entreprises de 1,8%.
Socialement parlant, il s’inscrit dans le dispositif patronal, dans la lutte des classes, pour infliger une nouvelle défaite aux salariés.
C’est aussi, via la suppression des allocations familiales assises sur les salaires, une transformation en cours de la forme de l’État, le passage d’une forme sociale à une forme répressive.2

Le contexte
Ce contexte de crise systémique, ce basculement d’un monde, d’une forme de capitalisme change totalement la donne. Les taux de croissance du passé sont dépassés L’ouvrage de l’INSEE, « Trente ans de vis économique et sociale » en donne quelques indications. Le taux de croissance moyen des « trente glorieuses » – pour utiliser la terminologie de Jean Fourastié -, soit de 1944-45 à 1974-75 était de 5,2% par an en moyenne, ce taux baissera de moitié après l’entrée dans cette nouvelle période, une onde longue à tendance récessive. Les années 1980, en réaction à cette rupture, verront naître une nouvelle forme de capitalisme mais la croissance restera de faible ampleur du fait de la stagnation des investissements productifs ouvrant la porte à une profonde désindustrialisation aux Etats-Unis comme en Europe à la seule exception de l’Allemagne boostée par l’unification. Depuis 2008, les vieux pays capitalistes développés n’ont pas réussi à renouer avec une croissance durable. C’est un signe de faillite, d’un non-fonctionnement du système, de cette forme de capitalisme. C’est une des raisons qui oblige les gouvernements à se féliciter d’une faible croissance.
Dans le même temps, il s’agit de convaincre contre toute réalité, de la nécessité de la politique d’austérité qui enregistre des résultats. On se demande qui, à part les média, peut-être convaincu par ce curieux argumentaire alors que le chômage de masse ne faiblit pas, que le pouvoir d’achat des salariés baisse – la hausse du salaire nominal a été inférieure à la faible hausse des prix – qu’il est de plus en plus difficile de se soigner pour les bas revenus et que les inégalités s’approfondissent.
Les seuls à prendre en compte ce matraquage idéologique, les opérateurs sur les marchés financiers. Les profits en augmentation des grandes entreprises alimentent la croyance dans une sortie de crise. Les cours des Bourses des pays développés montent. Le CAC40, l’indice de la Bourse de Paris a dépassé les 4300 points, des niveaux qu’il n’avait pas atteints depuis la 2008, avant la faillite de Lehman Brothers. Il n’est pourtant pas arrivé à ceux atteints avant le 10 août 2007 soit plus de 6000 points…
Il faut souligner que ces profits en hausse proviennent à la fois d’une baisse globale de la masse salariale par la précarité de l’emploi, la baisse des salaires des jeunes, le temps partiel imposé, l’intensification du travail et par la baisse des prix que les grandes entreprises imposent à leurs sous traitants diffusant la baisse des salaires et des conditions de travail et d’emploi dégradés. Le niveau global des profits reste, pour le moment, insuffisant.

Quel avenir vraisemblable ?

Dans ces conditions peut-on logiquement induire que la croissance se poursuivra ? Il faut dire que le gouvernement a tablé sur un petit 0,9% et que l’INSEE prévoit 1%. C’est loin d’être Byzance. Ce taux ne permet pas de créer suffisamment d’emploi pour « inverser la courbe du chômage » pour parler comme François Hollande, alors que la population active française ne cesse de progresser.
Les moteurs de la croissance ne sont pas totalement en état de marche. L’investissement des entreprises, investissements productifs, ne peut repartir ,tant que chaque capitaliste constate que le marché final – celui des consommateurs – est orienté à la hausse. Or, augmentation du chômage, désépargne, difficultés de s’endetter davantage pour les ménages, baisse du pouvoir d’achat des salariés – 90% de la population active est salarié – conduit à la conclusion que ce marché final sera, au mieux, en faible hausse et que les investissements des entreprises ne seront pas au rendez-vous malgré une politique gouvernementale favorable aux profits. Il faut en déduire aussi que la consommation des ménages ne pourra pas tirer la croissance.
Il est prévu de diminuer les dépenses de l’Etat – « la » dépense publique a dit Hollande reprenant un glissement sémantique dû à Fillon lorsqu’il était Premier Ministre – de 50 milliards d’euros passant par des pertes de pouvoir d’achat des fonctionnaires (d’Etat, de la Santé et territoriaux), la baisse des pensions de retraite et la baisse des investissements publics renforçant la diminution du marché final.
Ce constat est partagé. Du coup, tous les espoirs se tournent vers les exportations dans une situation où la faiblesse de la consommation devrait tirer les importations à la baisse. L’économie française est tributaire principalement des pays de l’Union Européenne et plus spécifiquement de l’Allemagne. Plus des deux tiers de ses exportations – et importations – s’effectuent dans la région Europe. L’impératif de compétitivité dont on nous rabat les oreilles se traduit par une exacerbation de la concurrence dans la zone Europe. Il se traduit par des forces centrifuges qui s’attaquent aux faibles solidarités construites entre ces pays. Comme tous les pays de la zone font la même politique, les éclatements sont manifestes. Ils pourraient se traduire par une recrudescence de la crise de l’euro faute de construction politique et de définition de politiques communes.
Il est donc difficile de prévoir une augmentation significative des exportations qui pourraient « tirer » la croissance française.
Une des leçons de 2013, un peu passée sous silence, c’est le faible taux d’inflation, +0,8% sur l’année mesuré par l’indice des prix à la consommation. Il est notable que les prix sortis d’usine du secteur secondaire – l’industrie – ont baissé. Il faut en déduire que le mouvement de désinflation, un indicateur de récession, se poursuit.
La crise est devant nous. Le capitalisme à dominante financière, néo libéral, accumule les contradictions. Crise financière et récession sont prévisibles, sans qu’il soit possible de dire quand ni de prévoir le détonateur tellement ceux-ci sont nombreux.
Nicolas BENIES. Le 16 février 2014.