Redécouverte.

 

2013, année Michel Warlop.

Michel qui ?

En 2011, une biographie documentée, « Michel Warlop, génie du violon swing », l’Harmattan, par Pierre Guingamp, voulait redonner sa place à ce musicien curieux, tourmenté qui créait difficilement, de tout son corps, de tout son esprit, Body and Soul – thème emblématique du jazz.1 Première tentative pour rendre compte de manière exhaustive de son parcours. Daniel Nevers, dans plusieurs notes de pochette avait lancé quelques pistes proposant même le qualificatif de « génie » pour ce violoniste. A juste titre même si les « puristes » font profession de détester les cordes sauf, peut-être, Stéphane Grappelli. Ils ne savent pas que, avant la trompette, le violon était l’instrument maître des premiers orchestres de jazz…

Il fallait aussi l’entendre. Le jazz ne se contente pas de l’écrit. Il a une dimension d’oralité qui rend l’enregistrement indispensable pour sa connaissance et pas seulement pour son histoire. Le disque est une nécessité vitale pour la transmission et l’apprentissage.

Alain Gerber, responsable chez Frémeaux et associés de la collection Quintessence, a décidé d’ajouter Michel Warlop à sa galerie. Il ne dépareille pas. Il était logique qu’il demandât à Daniel Nevers d’écrire le livret. Il est tout de grâce et donne les renseignements nécessaires à la compréhension et de l’homme et du musicien. Cette sélection n’épuise pas l’écoute de Michel Warlop, notamment ne sont pas reproduits ici ces faces de décembre 1937 – une grande année et pas seulement pour le jazz – avec Django Reinhardt dont ce « Christmas swing » superbe emportement du violoniste qui laisse le guitariste assis. Il s’agit d’introduire dans les mondes de ce violon que personne ne sait trop où ranger. Il fait partie de ces inclassables, marginaux que le jazz produit en grandes quantités et qui se font oublier comme le jazz lui-même.

Retracer la carrière de Michel Warlop – prononcez ouarlop, il est né à Douai le 25 janvier 1911 et mort d’épuisement le 6 mars 1947, une année terrible que cette année là – c’est traverser ces années 1920 – où il tombe dans la tanière de ce diable bleu qui s’appelle le jazz – et 30 où il participe à ces orchestres étranges qui ont nom Grégor et ses grégoriens, Patrick et son jazz sans compter Ray Ventura et les autres orchestres de ce jazz de variétés qui marque profondément toute la chanson française.

Michel, né dans une famille de boulangers, fréquente le Conservatoire de Douai et devait être destiné à une carrière de concertiste classique. Le « Zeitgeist » de ces années, le jazz,2 sert d’étendard à la révolte de toute la jeunesse à commencer par les surréalistes et Jean Cocteau. Il ne pouvait que prendre cette tangente pour créer un univers, le sien. Ce ne sera pas facile. Il fallait qu’il oublie son apprentissage pour s’approprier une nouvelle mémoire, celle du jazz, mémoire du passé et de l’avenir. Il le fera dans la souffrance. Et dans l’alcool et d’autres substances pour perdre pied, pour accéder à d’autres strates, pour passer de l’autre côté du miroir comme a voulu le faire Cocteau. Il y a du poète chez Warlop.

Ce coffret de deux CD fait la démonstration que le génie n’est pas dans les gènes mais qu’il s’acquière au prix d’un travail sur soi-même, dans l’oubli et la mémoire. Paradoxalement mais logiquement, c’est pendant la période de l’Occupation que Warlop pourra le plus créer. Contrairement à une idée toute faite, le jazz a droit de cité pendant cette période qui voit la vraie naissance d’un jazz français. Django devient une vedette et le violoniste aussi même si c’est dans une moindre mesure. Les concerts de jazz sont pleins à craquer… Grâce à Raymond Legrand, chef d’orchestre sur les antennes collaborationnistes – et père de Michel – il dirigera un septuor à cordes. Il faut entendre cette « Tempête sur les cordes », ce « swing concerto » de presque 8 mn (deux faces de 78t) et les autres compositions de ce temps. Il faut entendre Michel Warlop, il parle de nous, de notre difficulté à accepter le monde tel qu’il est. Il parle d’un autre monde, celui de nos rêves, celui de la fraternité et de la liberté. Souhaitons que ces compositions puissent renaître de leurs cendres pour qu’il vive de nouveau.

Nicolas BENIES.

« Michel Warlop, 1933 – 1943 », présenté par Daniel Nevers, collection Quintessence, Frémeaux et associés, distribué par Socadisc.

1 Voir ma chronique reproduite sur mon site www.soufflebleu.fr

2 Voir ma contribution au livre collectif « Eclats du Front populaire », Syllepse.