Patrick Modiano se dessine

Dix romans pour une œuvre.

Patrick Modiano qui dit détester les hommages et reculer devant les métaphores – pour qualifier un bleu il ne trouve que l’adjectif bleu – a construit son propre hommage en proposant dix romans « réunis pour la première fois forment un seul ouvrage et ils sont l’épine dorsale des autres qui ne figurent pas dans ce volume » écrit-il dans sa présentation. Ce « Quarto » ouvre donc des clés de compréhension de l’œuvre de cet écrivain étrange loin des modes. Il s’ouvre sur une sorte d’album de famille ou d’autobiographie qui fait écho à « Livret de famille » tout en épaississant le mystère plutôt que de dévoiler les ressorts cachés de cette recherche effrénée des traces du passé, d’un passé volontiers recomposé. La couleur sépia de ces photos en noir et blanc ajoute des ombres au flou des souvenirs qui eux-mêmes supposent une part d’oubli pour retracer des destins qui auraient pu être différents. Modiano fait revivre des personnages issus des mondes « réels » tout en les transposant dans un brouillard mémoriel. Les morts vivent sur le dos des vivants avait écrit Cercas, ici les disparus recommencent leur vie pour démontrer l’étendue du champ des possibles. Le fatum n’existe pas. Si la possibilité existait de recommencer sa vie, il faudrait la réaliser différemment pour faire d’autres expériences.

Pour dire que ces romans ne sont pas un travail de mémoire, mais une reconstruction, l’ouverture vers le hasard qui transforme des vies inscrites dans un contexte historique qui oblige à des choix contraints. Le flou qui habite cette œuvre est celui de nos histoires. Avec ce volume, Modiano nous invite à le relire, à le réévaluer et à suivre ses personnages pour entrer dans son univers.

Nicolas Béniès.

« Romans », Patrick Modiano, Quarto/Gallimard, 1087 p.