Autour de quelques nouveautés en jazz

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L’actualité discographique autorise une sorte de cartographie lunaire du jazz, des jazz peut-être…

Du funk ? En voilà !

Nils Landgren, tromboniste suédois a constitué un groupe, « Funk Unit », au titre explicite, mêlant rap et une forme de jazz portée, en leur temps, par les « Crusaders ». Référence revendiquée. Il a invité, sur cet album « Teamwork », deux des créateurs, Joe Sample, piano et claviers (ici au Rhodes, un instrument bavard qui fait des dégâts… Mais que Joe sait dompter) et Wilton Felder, saxophone ténor. Dans ses albums précédents, il avait déjà joué avec ces musiciens. L’autre influence se trouve chez James Brown et les musiciens qui s’en réclament – ils l’ont accompagné – Maceo Parker et surtout Fred Wesley à qui Nils fait penser. Ils jouent du même instrument !Une musique dansante, sans état d’âme et qui atteint son but. Si vos invité(e)s restent assis(e)s c’est qu’ils et elles sont malades…

Nicolas Béniès.

« Teamwork, Nils Landgren Funk Unit, ACT distribué par Harmonia Mundi.

 

De l’accordéon ?

Vincent Peirani veut donner au « piano du pauvre » – l’accordéon – des lettres d’une noblesse qu’il possédait sans le savoir. Astor Piazzolla est passé par-là, comme Richard Galliano et Peirani fait fructifier cet héritage en mettant sa virtuosité au service de compositions provenant de tous les univers. C’est une des caractéristiques des recherches d’aujourd’hui de ne pas se limiter à un seul univers. Le dit « troisième courant » dans le milieu des années 1950 avait ouvert la voie de rencontres jazz et musique classique, baroque surtout puis jazz et musique contemporaine. Les rencontres ont pris de l’ampleur avec la place nouvelle prise par « les musiques du monde », terminologie uniquement marketing qui cache la réalité de cultures divers auxquelles l’industrie du disque s’intéresse désormais.

Ainsi Peirani passe de Joseph Canteloube, le barde de l’Auvergne à Alexander Sisic, en passant par Monk, Abbey Lincoln, Brad Mehldau, les folk songs américains et… Vincent Peirani. Il a construit un trio original, accordéon, piano (rien de moins que Michael Wollny) et basse (Michel Benita, un de ces bassistes incontournables mais qui ne font guère de bruit) pour produire une musique qui veut sortir du bois, se faire reconnaître. Il n’a pas craint d’inviter Michel Portal pour deux plages, à la clarinette basse et au bandonéon comme s’il voulait indiquer des références, des influences. Pour ne pas être en reste, il a aussi fait appel à Émile Parisien au soprano – dont la tête commen,ce à enfler un peu trop, l’humilité, dans le jazz est une vertu -, qui, c’est vrai, montre une musicalité héritée de celle de Dave Liebman.

L’accordéon reste un instrument très discuté dans les mondes du jazz, pour ne pas dire ostracisé, assimilé qu’il est à André Verchuren – qui, à ses débuts, s’était essayé au jazz dans la lignée du plus grand swingman Gus Viseur, qu’il faut encore et toujours écouter pour savoir comment swinguer sur cet instrument étrange.

A la fois l’auditeur prend plaisir à ce voyage qu’il habite de sa propre imagination et en même temps il a l’impression de visiter le monde sans pouvoir s’arrêter… La terre serait ronde ? C’est ce que veut démontrer ce « Thrill Box », cette boîte à frissons, une sorte de définition de la musique… Vincent Peirani doit maintenant trouver sa voie…

Nicolas Béniès.

« Thrill Box », Vincent Peirani, ACT, distribué par Harmonia Mundi.

 

Don Cherry, le retour.

Le fantôme de Don Cherry rôde. Mort en 1995, il reste le musicien qui a marqué les mondes de la musique. Freejazzman aux côtés d’Ornette Coleman, il a élargi son horizon par les dites « musiques du monde ». C’est lui qui a compris que ces cultures redécouvertes, remises dans l’actualité pouvaient régénérer le jazz, pour le transformer. Trilok Gurtu s’en souvient avec une pointe de nostalgie, lui qui a joué avec Don qui l’a encouragé à poursuivre dans sa voie. Trilok a donc mêlé batterie et percussions – indiennes notamment. Il faut le voir jouer de cet instrument étrange qui possède quelque chose – un souvenir – de la batterie de jazz et ses instruments de percussions, les tablas particulièrement, un genou à terre. Le spectacle, la performance fait partie intégrante de sa musique.

Ici, en forme d’hommage à Don Cherry, il a fait appel à une pléiade de trompettistes. De toute nationalité. Le jeune turc – comment l’éviter – Hasan Gözetlik sur Manteca, un clin d’œil à Dizzy Gillespie, le jeune allemand Matthias Schriefl qui évoque les mannes de Miles Davis pour les découvertes, découvertes nécessaires. Trilok renvoie l’ascenseur en promouvant ces jeunes gens.

Pour le reste « Spellbound » – titre de cet album – ne lésine pas. Une piste aux étoiles de la trompette actuelle. Par ordre d’entrée en scène, Nils Peter Molvaer, Ibrahim Maalouf – une sorte de rencontre de mondes -, Paolo Fresu, toujours à son avantage, Matthias Höfs, Ambrose Akinmusire, dont tut le monde parle, trop, il faudrait lui laisser faire ses preuves en évitant de trop enregistrer et… Don Cherry lui-même pour 33 secondes. De quoi avoir envie de réécouter tous les albums de Don Cherry… Une musique qui trouve son unité dans la force de conviction l’énergie de Trilok Gurtu.

Nicolas Béniès

« Spellbound », Trilok Gurtu, Moosicus distribué par Naïve.

 

S’envoler dit-il, mais où et avec qui ?

Les Norvégiens sont-ils tous saxophonistes à l’instar de Jan Garbarek ? Auteur(e)s de polars ? A lire la presse ces derniers temps, il serait loisible de le croire. Il faut se méfier des références évidentes. Marius Neset, saxophoniste (ténor et soprano) ; norvégien inciterait à la référence, l’influence garbérekienne. Elle existe. Surtout dans les compositions qui font la part belle à un folklore soit imaginé soit revisité – comme dans la composition qui ouvre cet album et lui donne son titre « Birds » – mais dans le jeu de saxophone soprano surtout se manifeste la marque de Dave Liebman, la voix essentielle sur cet instrument.

Ceci posé, ce quintet bizarre – Ivo Neame au piano, Jim Hart au vibraphone, Jasper Hoibi à la basse et Anton Eger à la batterie – qui devient septet notamment pour « Birds », avec Bjarke Mogensen à l’accordéon – un instrument qui revient très fort – et Ingrid Neset à la flûte, veut produire une musique originale qui prend au jazz sa pulsation et fait la part des autres musiques, celle de ballet notamment. Birds se termine sur une danse facile à imaginer.

En quintet, Le saxophoniste montre tout ce qu’il doit non seulement à Dave mais aussi à Wayne Shorter et beaucoup d’autres. Une musique en train de se faire… Qui prend son envol…

Nicolas Béniès.

« Birds », Marius Neset, édition records, www.editionrecords.com