Le polar historique à l’honneur.

 

France, 1919.

Guillaume Prévost continue sa saga, via les enquêtes de l’inspecteur François-Claudius – le prénom s’explique par le fait que, orphelin, abandonné par sa mère, il a été élevé dans un orphelinat dirigé par un curé qui lui a fait confiance, d’aucuns diraient qu’il était le « chouchou » – Simon, de cette après première guerre mondiale. Ces années qui ruissellent encore du sang des jeunes gens sacrifiés, victimes aussi de la grippe espagnole. Un pays exsangue que l’auteur s’attache à décrire. Il prend pour matière, un feuilleton – c’est la mode depuis la fin du 19e siècle – au titre évocateur, « Les Maudits » qui donnent aussi son titre générique à des films « à suivre », ancêtres de nos séries télé.

Pendant la projection, des meurtres sont commis imités de ceux des films. Chaque série voit un meurtre se commettre. Qui ? Pourquoi ? Et d’abord Comment sont commis ces crimes. Il nous fait visiter ces studios de cinéma, d’un cinéma qui n’a pas encore acquis la parole dont les images sont chargées de signification. Dans ces milieux en formation, ceux de l’industrie cinématographique balbutiante, les requins commencent à frétiller. Le « parlant » n’est pas loin. Guillaume Prévost rappelle fort opportunément que la technique est française mais sera utilisée à Hollywood contre la main mise de Edison. Ce nouveau procédé joue un rôle clé dans la découverte de la criminelle. Nous sommes en 1919 et les cinémas accueillent une grande clientèle alors que les anciens lieux de plaisir périclitent.

« Le quadrille des maudits » permet de se plonger dans l’histoire de ces années. En même temps, l’inspecteur est vivant. Les relations avec sa mère – qui se retrouveront dans le prochain opus – ne sont pas faciles. D’autant qu’elle a régressé sous le coup d’une peur, d’une angoisse. Elle ne peut pas l’affronter… Freud n’est pas loin. Le fils du magnat de l’industrie cinématographique est… psychiatre – je ne suis pas sur que le terme ait déjà une existence – et ouvre la porte à la suite des aventures… Une série !

URSS, 1936.

William Ryan parle lui aussi de cinéma. URSS, 1936 : les camps se remplissent. Les Tchékistes ont toute latitude pour arrêter les « ennemis du socialisme » et de Staline. Après l’assassinat de Kirov, contexte de l’enquête précédente et première de l’inspecteur Korolev, « Le royaume des voleurs », la terreur s’installe. Personne n’ose critiquer ni jurer en public. La délation devient un sport de combat pratiqué dans toutes les couches de la société. L’auteur montre ce climat en mettant en scène le moment où Korolev est convoqué, à deux heures du matin, dans les locaux de la Tchéka, de cette police au service des intérêts de cette bureaucratique qui s’installe.

« Film noir à Odessa » nous entraîne donc sur les bords de la mer noire, lieu de tous les trafics. Korolev doit découvrir qui a tué une jeune femme, maîtresse d’un dirigeant de cette Tcheka mais qui avait d’autres amants. Une fille libre qui avait compris comment prendre sa place dans ce nouveau monde en train de s’organiser. La sergent qu’il rencontre sur place est, elle aussi, libre comme la mère du tchékiste local. Les femmes apparaissent moins soumises.

L’inspecteur lui courbe la tête, ne laisse pas voir ses sentiments. Même pas pour sa compagne imposée avec qui il partage son logement. Il suit la construction d’un film de Eisenstein, « Le pré de Béjines » qui, pour cette fiction prend le nom de « La Prairie ensanglantée » et le réalisateur Savchenko est une des figures de Eisenstein. Le thème est celui de la délation, un enfant dénonce ses parents comme contre révolutionnaires… On s’est toujours demandé pourquoi Eisenstein avait accepté cette histoire qu’il était, sans doute, en train de transformer. Le film ne fut jamais projeté…

A travers l’enquête, les rouages de cette société se dévoilent. L’Ancien Régime, malgré les interdictions, subsistent dans les comportements et les voleurs sont toujours présents, organisée en confrérie. Comme dans la première enquête, le « Roi des voleurs » est toujours là et aide l’inspecteur à boucler les contre révolutionnaires, les vrais. La responsabilité incombe au pouvoir stalinien qui a affamé les campagnes et les villes dans la fin des années 1920. Le tout est suggéré. Le cours n’a pas lieu. Ryan, à juste raison, préfère insister sur le climat. Le lecteur a l’impression d’y être. La peur de Korolev est la sienne. On comprend ainsi le sens de la répression arbitraire. Tout le monde peut se retrouver en prison ou dans les camps, alors il faut respecter les ordres pour avoir une chance de survivre.

France, octobre 1945.

Claude d’Abzac est une spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et, par ce roman policier – son premier -, elle a voulu raconter, faire ressentir, l’atmosphère de cette fin de guerre qui voit le PCF devenir le premier parti de France cependant que le Général de Gaulle s’attache à reconstruire l’Etat capitaliste pour éviter la révolution socialiste. Il aura l’aide de Staline qui ne pense qu’à construire son « glacis » pour mettre l’URSS à l’abri. Cette « Opération Cyclope » met en scène un trio d’enquêteur. Le colonel Lanvaux – en fait un juif russe engagé par le contre espionnage français et ami du Général depuis 1920 – est un peu tête en l’air. Sa femme et sa fille ne sont pas rentrées des camps. Il les cherche. La mission que le général lui confie est aussi faite pour tester ses capacités. Il est accompagné de l’adjudant Marchandeau – Jules comme il se doit – et du lieutenant Tessier, french lover.

Ils enquêtent sur des meurtres commis au château de Lignac – nom du village du Limousin – tenu par le nobliau. Il a été transformé en camp de prisonnier pour les soldats allemands. L’armée a détaché des surveillants, des soldats d’Afrique du Nord, des Algériens qui ont fait la guerre et traité, par certains gradés, comme des sous-hommes. Ils s’en souviennent.

Le maire est membre du PC.

Des meurtres ont été commis. Attribués soit à un groupe de criminels nazis qui veulent faire régner la terreur, soit aux communistes qui veulent faire la révolution.

L’opacité est totale. Qui tire les ficelles ? Les agents sont doubles, triples. Les assassinats obéissent à différents motifs. Sans prendre partie, l’auteure nous permet de comprendre les ressorts de cette période troublée.

Pour lutter contre tous les stéréotypes de cette période.

Nicolas Béniès.

« Le quadrille des maudits », Guillaume Prévost, 10/18, Grands détectives ; « Film noir à Odessa », William Ryan, traduit par Jean Esch, 10/18, Grands détectives ; « Opération Cyclope », Claude d’Abzac, Folio/Policier.

Un polar en forme de farce.

Donald Westlake nous a quittés le 31 décembre 2008 – il avait 75 ans. D’aucuns pensent qu’il l’a fait exprès pour gâcher le réveillon de ses amis et de ses proches et un peu de ses nombreux lecteurs.

Son œuvre est prolifique.

Rivages a décidé de la rééditer en faisant réviser la traduction. Il est donc nécessaire de le relire. Our le redécouvrir.

« On aime et on meurt comme ça » – sous-entendu pour rien, pour une chiquenaude -, il se sert d’un gimmick, un policier exclut de la police parce qu’il était avec sa maîtresse au moment d’une opération qui s’est traduite par la mort de son coéquipier, pour nous faire accepter une enquête au sein de la mafia. Rembek demande à Mitch Tobin – je ne pense pas que l’économiste ait quelque chose à voir avec cette histoire mais aller savoir… – de retrouver le meurtrier de sa maîtresse, une jeune femme, Rita Castle.

Les dialogues permettent à la fois de suivre l’action et de comprendre les embarras réciproques des deux protagonistes obligés de travailler ensemble.

La fin est un peu convenue et se laisse deviner mais elle fait partie de la farce. Quand les raisons d’un meurtre sont les mêmes pour un mafioso que pour n’importe qui d’autre…

Nicolas Béniès.

« On aime et on meurt comme ça », Donald Westlake, traduit par Maj Elfvik révisée par Marc Boulet, Rivages/Noir.