Dans les nouveautés en jazz

Un duo contrebasse, Diego Imbert, guitare, Michel Pérez, deux musiciens importants de la scène du jazz en France. Ils ont participé aux stages donnés à Lisieux (14) et savent construire des machines à géométrie variable. Le duo est un exercice difficile. Surtout guitare/contrebasse. « Double entente » – une référence peut-être au « double entendre » des bluesmen pour signifier une traduction de l’anglais « blanc » en anglais « noir, pour entendre derrière des problèmes de femmes, les relations toujours difficiles des Noirs avec les Blancs – proposent une musique en demi-teinte qui préfère souvent la joliesse à la violence. Dans ce monde de brutes, c’est difficile de leur en vouloir. On aimerait une musique plus brute, moins apprêtée.

Il reste, l’album se termine sur cette note à la fois grave et légère – comme l’était le trompettiste que j’aimais –, un hommage à François Chassagnite qui nous a quitté à 55 ans nous laissant quelque peu orphelin, « I remember Chass » composé par Diego Imbert.

Ce duo devrait plaire pourtant. Il gagnerait à être connu. Un public ignore que la musique qu’il pourrait aimer est là tout près de lui.

« Double entente », Diego Imbert/Michel Pérez, Such distribué par Harmonia Mundi.

Un trio classique, piano, Michel Reis, contrebasse, Marc Demuth et batterie, Paul Wiltgen, un album construit autour de leurs trois noms « Reis – Demuth – Wiltgen, manière de dire leur projet, créer à trois pour n’en plus faire qu’un, qu’un corps sans visage. Ces musiciens viennent du Luxembourg et, malgré leur jeune âge – ce sont des trentenaires – se sont déjà fait connaître. Ce n’est pas non plus leur premier album en trio. Ils essaient de renouveler ce trio que Bill Evans avait rendu classique. Ils cherchent du côté des musiques de notre temps, de ces musiques minimalistes, répétitives pour tracer leur propre chemin. Mais aussi du côté de Carla Bley et de sa « musique mécanique », des références qu’ils veulent s’approprier pour construire autre chose, sans savoir de quoi est fait cet autre chose. Sur des structures étranges, ils retrouvent la pulsation du jazz et l’héritage des grands maîtres du passé.

On prend plaisir à suivre leur cheminement. La route qu’ils suivent détermine une sorte de structure mouvante. Il n’empêche, le minimaliste arrive à provoquer l’ennui. Il faut déguster ce trio à petites doses pour éviter le trop plein. Ils n’ont sans doute pas fini de partir…

« Reis – Demuth – Wiltgen », Laborie jazz, www.laboriejazz.com

Un quartet conduit par un guitariste, Federico Casagrande qui a fait de la France sa patrie, voudrait visiter des mondes aux confins de notre compréhension pour renouer des fils de temps différents. Il a composé cette suite, « The Ancient Battle of the Invisible », un champ de bataille virtuel pour combattre des ombres tandis que d’autres courent dans tous les sens à la recherche de l’ennemi et du champ de bataille. Une idée intelligente. Notre monde est aussi aux confins de la vie et de la mort. Il ne sait plus très bien où il en est. La montée des périls et des alternatives le menace.

Il fallait une musique à la hauteur du projet. Elle est un peu trop sage. Elle n’est pas assez révoltée. Il y faut la violence du champ de bataille. Le compositeur/guitariste a voulu à la fois construire son projet et plaire. Du moins ne pas se faire rejeter comme un tenant du free jazz qui a très mauvais presse de nos jours. Dommage. D’autant que son quartet : Jeff Davis au vibraphone, Simon Tailleu à la basse et Gautier Garrigue à la batterie est soudé et sert les compositions du guitariste. Il y manque juste le petit quelque chose qui fait toute la différence. Il faudra aller les voir « live » pour se faire une idée…

« The Ancient Battle of the Invisible », CamJazz, Harmonia Mundi.

Un mini big band, onze musiciens dont un conteur, David Belmondo qui lit ses propres textes sans faire semblant de chanter, pour un spectacle, « Ressac » qui veut dire les va et vient immobiles entre musique et texte, entre musiciens et spectateurs, entre compréhension et incompréhension, entre classique – une pianiste Élisa Bellanger – et jazz, celui de Gil Evans, arrangeur qui a influencé le chef de ce curieux orchestre, le flûtiste (compositeur et arrangeur) Christophe Dal Sasso. Ses solistes – il faudrait tous les citer, disons le saxophoniste David El-Malek plutôt à son avantage et bien enregistré, bien mis en valeur, le clarinettiste basse Thomas Savy, Pierre de Bethmann au Fender Rhodes qu’il a appris à maîtriser, Frank Agulhon à la batterie – sont à la hauteur d’un projet qui se situe aussi dans la lignée de ce « third stream » – troisième courant – qui faisait beaucoup parler de lui dans les années cinquante et soixante, sorte de condensé de jazz et de musique baroque et contemporaine, comme si le jazz pouvait réintégrer le giron des musiques européennes. Il a provoqué de magnifiques échecs qu’il faut écouter avec attention.

Au total, quelques éclairs, quelques réussites mais l’alliance conteur/musique reste un défi difficile à relever, comme celle piano classique/jazz. Un défi ne suffisait pas… Il fallait les tenter, les réunir. L’essai vaut la peine d’être entendu. Je suppose que, sur scène, cet ensemble hétéroclite passait – passe – mieux. Avec le soutien des spectateur(e)s… Prochain concert le 27 mars au studio de l’Ermitage, Paris, rens. www.christophedalsasso.com

« Ressac », Christophe Dal Sasso, Discograph.

Nicolas Béniès.