Rencontres.

 

Rétropédalages vers le futur.

La photographie a longtemps été considérée comme un art mineur, plus récemment elle a été qualifiée « d’art moyen », une notion floue qui lui convient bien. Ce domaine artistique, comme, plus tard, le cinéma et le jazz, n’ont pas de définitions précises. Leur périmètre est évolutif, leur champ d’analyse en expansion. Ces « anti-art » au moment de leur naissance sont liés à l’évolution des technologies, des techniques qui les rendent dépendantes de l’industrie et du « retour sur investissement ». Walter Benjamin, étudiant l’ère de la reproductibilité en tirait la conséquence que l’art avait perdu son « aura ». La démonstration est facile à faire. La photographie d’un tableau cache le choc esthétique du tableau. La photographie, si elle ne se veut pas reproduction, peut révéler des trésors cachés du travail du peintre.

Les rapports entre « Peinture et photographie » – titre de cette synthèse des recherches actuelles pour la période 1839-1914 -, démontre Dominique de Font-Réaulx, ont longtemps été ignorés ou analysés de manière unilatérale. Le premier appareil, le daguerréotype, découverte française, permet une image unique, non reproductible et assez coûteuse empêchant son industrialisation malgré la vogue du portrait. Le « photographe » joue avec la lumière, avec le soleil. Il ouvre la porte à l’imagination pour des peintres qui sortiront de la réalité tangible pour accéder au monde des concepts et représenter ce qu’ils n’ont pas vu. Les peintres, à leur tour, influenceront la vision des photographes. Chaque domaine aura ses chefs d’œuvre et ses expositions avec des tentatives de liaison entre ces deux domaines, tentatives sans lendemain. Certains peintres cacheront même leur rapport avec la photographie, cette maîtresse qui leur apportait des satisfactions esthétiques nouvelles, un autre point de vue sur le monde. A travers l’art du portrait, le paysage, le nu, l’auteur essaie de préciser où se situe la rencontre. Pas toujours évident mais toujours intéressant dans la manière de renouveler notre compréhension de l’esthétique. Les illustrations viennent donner du poids à la démonstration. L’art n’a pas d’histoire et le rétropédalage peut ouvrir de nouveaux champs à notre imagination.

La rencontre entre deux disciplines artistiques c’est aussi le thème d’un colloque tenu en décembre 2010 sur « Cinématismes, la littérature au prisme du cinéma » et qui fait l’objet de cette publication. Le terme de « cinématismes » pour « ensemble des moyens d’interprétation fournis par le 7e Art », ici appliqués à la littérature. Les concepts forgés par l’analyse cinématographiques peuvent-ils servir à une autre compréhension des grands textes littéraires ? Analyser, comme le fait Eisenstein – le père fondateur du « pré cinéma » -, les grands romanciers du 19e siècle à l’aide des techniques cinématographiques a-t-il un sens ? La pédagogie peut y gagner ? Les rencontres artistiques ne se font pas uniquement dans le sens chronologique. L’anachronisme peut susciter des voies nouvelles d’interprétation. Pourquoi s’en priver ? Les contributions interrogent plus qu’elles n’apportent de réponses définitives. Elles font aussi la part belle aux critiques de ces notions de pré cinéma comme de cinématisme. Elles apportent quelques éléments de réponse qui incitent à poursuivre la réflexion sur la nécessité d’un travail interdisciplinaire au-delà des mots à la mode comme « transversalité »…

Nicolas Béniès.

« Peinture & photographie. Les enjeux d’une rencontre 1939-1914 », Flammarion, 320 p.; « Cinématismes. La littérature au prisme du cinéma », sous la direction de Jacqueline Nacache et Jean-Louis Bourget, Peter Lang éditions, 347 p.

 

 

En dessous, ou sur le côté, dans un encart grisé mettre à la place de « Cinématismes », « Brassaï »

Paris, beauté-laide.

Brassaï, qui se disait né en 1933 – la date d’état civil de Brasso, hongrois de naissance, 1899 -, moment où il trouve sa voi(e)x, était devenu célèbre en décembre 1932 par la parution de « Paris de nuit », recueil de 64 photographies. La Ville apparaît comme proche et lointaine, sale et lumineuse, riante et triste dans ces couleurs étranges issus du travail sur les noirs. Brassaï ne photographie pas la réalité. Il malaxe, transforme ses négatifs pour faire surgir d’autres visions, d’autres compréhensions. Il ne se refuse rien. Hongrois francophone il est à la fois étranger et profondément parisien, inscrit dans cette Ville-monde de ces années 30 où tout semble possible.

Sylvie Aubenas et Quentin Bajac présentent les œuvres de Brassaï en explicitant le contexte. Paris est la ville de l’avant-garde dans ces années-là. Le jazz est omniprésent, éclatant toutes les conventions, exprimant la temporalité profonde et la volonté de créer comme la recherche du plaisir. L’immonde et le sublime font bon ménage. Une redécouverte nécessaire de Paris et de ce créateur.

N.B.

« Brassaï. Le flâneur nocturne », Sylvie Aubenas et Quentin Bajac, 300 pages, 300 illustrations, Gallimard.