Lectures d’été.

Polar


Les mois d’été sont propices à des découvertes, de celles qui obligent à revenir sur des parutions passées – et le passé se fait de plus en plus pressant, de plus en présent, six mois de garde chez les libraires, après le livre disparaît – mais qu’il faut découvrir ou redécouvrir en profitant d’une réédition en poche par exemple. Il faut éviter ce règne de l’idéologie de la modernité, de la nouveauté pour la nouveauté. Prendre le temps est vital. Les vacances servent aussi à étirer ce temps qui n’en finit pas d’être immobile nous forçant à bouger. Se mettre en vacances, en jachère pour profiter de ses lectures, pour rêver tout simplement. En restant éveillé, à l’affût.

L’Islande, du noir dans la blancheur.

Arnaldur Indridason n’en finit pas de raconter son pays. Cette île s’est fait connaître dans la crise financière. Ses banques s’étaient internationalisées rapidement. Elles ont fait faillite. Secourues par l’Etat, la dette privée s’est transformée comme partout en dette publique.

Les traductions obligent à une lecture différée. L’attente de la parution en poche – de Métailié, éditeur d’origine à la collection Points au Seuil – accentue le phénomène. Il est donc nécessaire de regarder la date de parution de l’original pour remettre les descriptions dans leur contexte, celui de l’avant crise. Plus exactement, pour « La rivière noire », de l’avant connaissance de la profondeur de la crise, avant les deux référendums qui feront répondre massivement « non » à la demande de paiement de la dette. Avant aussi le processus de la Constituante.

Ceci posé, la crise n’est pas le sujet essentiel. Mais le journaliste qu’il est aussi ne peut pas se faire oublier. Des notations permettent de comprendre l’ambiance de ces années 2007-2008 où tout semble encore facile pour les plus riches qui font preuve d’une arrogance hors de propos. Le sujet c’est ici le viol et le manque de réactivité de cette société qui a tendance à l’accepter ne comprenant la dimension de meurtre qu’elle comporte. Il sait décrire ce sentiment. Pour ce faire, il a abandonné sa figure de détective privé, le commissaire Erlendur pour l’inspectrice Erlinborg. Il s’offre et nous offre un effet de miroir. L’inspectrice parle du commissaire, la manière dont elle le voit de même que ses collègues. Tout le monde est inquiet, le commissaire ne donne pas signe de vie… Il se trouve mêlé à une enquête mais nous le saurons plus tard.

L’enquête la fera passer de la capitale, Reykjavik, à des contrées plus reculées qui l’oblige à prendre l’avion alors qu’elle a de plus en plus de mal à supporter les voyages aériens. Se profile la crise. Il est question de supprimer les lignes intérieures pour faire des économies… Elle découvrira des secrets enfouis dont personne ne veut parler. Comme d’habitude et comme partout. Indridason met bien en évidence les conséquences dramatiques, meurtrières pour la femme victime du viol. L’enquête suivra les traces du violeur lui-même assassiné faute de réaction de la société, des tribunaux. Une sorte de réquisitoire. Un cri silencieux qui fait mal aux oreilles. Il rappelle le mot de Big Bill Broonzy – bluesman et poète – « Je voudrai crier mais la ville est trop petite »… Cette strophe pourrait servir d’exergue à ce polar, noir comme la neige, noire comme l’oubli impossible.

Nicolas Béniès.

« La rivière noire », Arnaldur Indridason, Points/Seuil (première parution Métailié, un éditeur qui a fait découvrir les polars islandais).

Jeux de rimes.

L’idée avait de quoi séduire. Mener une enquête à partir d’un poème, un sonnet en l’occurrence, qui pourrait être de Charles Baudelaire retrouvé dans le sac d’un clochard ressemblant à Victor Hugo. Une commissaire, Viviane Lancier, enquête aidé de son lieutenant Augustin Monot qui se targue de s’y connaître en littérature. La commissaire à des problèmes, de couple, de régime… Comme tout le monde. Elle ne s’intéresse guère à la poésie… Comme tout le monde. « La commissaire n’aime point les vers » est un titre qui dit bien le contenu et les centres d’intérêt policiers ou poétiques…

On prend plaisir aux premières pages en se demandant où l’auteur – Georges Flipo – veut nous amener. Malheureusement pas très loin. Malgré des caricatures assez réussies d’un monde académique à la recherche de l’inédit pour en faire de l’argent, le reste est un peu trop « téléphoné ». Le lecteur féru de Baudelaire et de Victor Hugo prendra plaisir à ces pastiches. L’amateur de polar restera sur sa… faim !

N.B.

« La commissaire n’aime point les vers », Georges Flipo, Folio/policier, première parution à la Table Ronde.

Noir, le Pays basque.

Willy Uribe aime son pays. Plus il en est loin, plus il y revient. Par l’écriture. Via un loser, un de ces personnages qu’affectionne la littérature américaine, Goodis en tête. Dés le départ, noir c’est noir il n’y a plus d’espoir. Rien de bien ne pourra arriver à cet Ismael – un nom prédestiné – ancien légionnaire dans un pays basque opposé à Franco, marque infamante qui le poursuit, le prive de son père. « Le prix de mon père » est une manière de poser des questions sur les rapports père/fils. De quoi sont-ils fait ? Tout passerait par l’argent ? Tout a un prix ?

Une histoire triste et grise d’un chantage, des morts pour rien et à la fin un déserteur plus déserté que jamais, seul dans une solitude de plus en plus nécessaire pour simplement rester en vie. Jusqu’à mourir faute d’autre solution…

En toile de fonds une sorte de description de l’Espagne d’avant le déclenchement de la crise – nous sommes en 2007 – qui connaît une croissance trop forte et des personnes trop riches qui se croient tout permis. Quelque chose dans l’air de ce roman laisse penser que ce temps arrive à son terme…

N.B.

« Le prix de mon père », Willy Uribe, Rivages/Noir.

Revoir Paris…

Paris charrie des histoires et même l’Histoire. Paris est une Capitale qui façonne ses habitant(e)s. On l’aime ou on la hait. C’est un peu la même chose. La Ville est révolutionnaire – elle les a toutes connues, sinon toutes faites – et conservatrice, réactionnaire. Ses quartiers sont autant de villages qui ont conservé quelque chose des anciens mondes. Elle change cette Ville. Comme le dit Jacques Roubaud – c’est le titre de son recueil de poèmes publié dans la collection Poésie/Gallimard, 1999 – « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains ». Ingrid Astier s’est peut-être inspirée de ces sonnets pour construire cette intrigue qui tient beaucoup du cauchemar, de celui que charrie la Seine en traversant Paris. En même temps que des rêves de libération, d’émancipation. Comme si la dépravation était aussi une porte d’entrée vers un ailleurs différent.

Une enquête de la brigade fluviale – déjà publiée dans La Série Noire – qui permet aussi de visiter les berges du fleuve remplie de bruits et de fureurs, de romantisme aussi, de cette poésie brute qui fait de la Ville un condensé de nos souvenirs et de notre mémoire. Il ne faut rien oublier pour construire un avenir. C’est un peu la leçon de cette première enquête, « Quai des enfers » forcément mais un enfer bien quotidien pour une histoire d’un meurtrier qui voudrait marquer les esprits. On pense à cette arnaque qui avait nom la « mémoire de la clé », l’eau du fleuve conservant l’ADN de la clé… Impossible sauf dans un polar. Cette mémoire est ici une sorte de sésame pour aller plus loin dans les profondeurs de notre angoisse. Comme souvent pour un premier roman, un trop plein d’idées, d’informations se mêlent et s’entremêlent mais c’est une auteure à découvrir… Si ce n’est déjà fait.

N.B.

« Quai des enfers », Ingrid Astier, Folio policier.

De la musique avant toute chose.

Madison Smart Bell est l’un des grands romanciers étatsuniens de notre temps. Il raconte une sorte d’histoire américaine se déplaçant si nécessaire à Haïti. Il vient de publier une biographie de Toussaint-Louverture. Ce livre là pour des raisons obscures – arrivé sans doute à un mauvais moment -, je l’avais laissé de côté mais à côté. « La Ballade de Jesse » est un titre curieux qui laisse penser à Jesse James, le bandit bien aimé. Le titre original, « Anything goes », « tout est permis » ici traduit par « tout va », aurait dû me faire réagir. Une composition de Cole Porter, un des grands standards du jazz… Or, c’est une erreur. S’il est question de musique, il n’est pas question de Cole Porter ni de jazz… Encore que… Le blues et la country doivent avoir quelque chose en commun.

Jesse donc est guitariste. Il a 20 ans et arpente les routes des Etats-Unis, de « Black Cat » – une synthèse de ces endroits qui accueille des groupes dans une ambiance plutôt alcoolisée, John Landis le raconte dans « Blue Brothers » – en « Black Cat », vers le Sud lorsque l’hiver se déclenche pour avoir le soleil… Il a quitté la maison paternelle, son père saoul, le battait. Sa mère a disparu lors de sa naissance… De rencontres en rencontres, d’une chanteuse à un guitariste, d’ennuis divers, avec la police, avec un groupe de jeunes sadiques pour finalement retrouver son père et des responsabilités. Le tout agrémenté de compositions originales dues à la plume de l’auteur lui aussi musicien et du contexte de racisme ordinaire qui fait le fond de l’air de ces Etats-Unis. Un roman noir qui ne le serait pas totalement, un peu polar, un peu règlement de comptes tout en ne réglant rien parce que ce n’est pas possible, bref un de ces livres qui se quittent à regret. On serait bien resté encore un peu avec ce jeune homme qui ne sait pas où il va… Mais il y va !

Sans doute pas un grand roman mais une musique qui vous suit, une musique qui parle d’amour, de fraternité, de liberté, d’une fierté retrouvée, d’une communion de cultures via des poèmes qui sont autant de fil conducteur. Une sorte d’hymne à cette culture orale américaine à laquelle Madison Smart Bell apporte sa pierre et c’est un menhir. J’aime cette manière de parler de la musique qui fait partie intégrante de nous-même, qui permet de dépasser les mots pour aller vers nos sentiments.

N.B.

« La Ballade de Jesse », Madison Smart Bell, traduit par Pierre Girard, Actes Sud, 2009.