Le coin du polar.


Une nouvelle héroïne, moderne résolument moderne !

Son nom Ava Lee, canadienne mais originaire de Hong Kong. Dans ce pays, désormais rattaché à la Chine populaire, elle a conservé des liens avec son « oncle », proche sans doute d’une mafia. On ne saura pas laquelle. Elle est comptable. Une profession certes honorable mais qui se marie mal, a priori, avec le polar. Une comptable spéciale chargée de récupérer des capitaux empruntés et non remboursés. Ici, une arnaque portant sur 5 millions de dollars au détriment d’un des neveux d’une famille proche de l’Oncle. Elle visitera le Guyana, petit, pays totalement corrompu où la loi n’existe pas. La description de l’arbitraire d’une dictature fait le prix de cette histoire contée par un ancien journaliste et diplomate, Ian Hamilton.

L’explication de l’arnaque permet aussi de comprendre les circuits de lavage de l’argent sale dans ce monde où la finance est mondialisée. L’auteur s’appuie sur des enquêtes réalisées par les journalistes britanniques et américains qui ont du mal à arriver jusqu’ici. Marc Roche, dont nous avons parlé par ailleurs, dans « Le capitalisme hors la loi » (Points/Seuil) recense quelques-unes de ces pratiques frauduleuses qui font la une des journaux ces temps-ci. Pour dire que ce roman s’inscrit dans notre réalité. Au départ, en une traduction fidèle de l’anglais et en prise avec le sujet, le titre était « Le rat d’eau de Wan Chai » – sans jeu de mots qui a conduit à l’abandon – pour devenir « L’évadé de Wan Chai » qui ne veut rien dire. Il faudra le découvrir au fil de ces pages…

Pour le reste, c’est un peu trop téléphoné. Elle s’en sort miraculeusement. Trop miraculeusement. Elle ne se fait pas violer et son orientation sexuelle – elle est lesbienne – ne devrait pas lui servir de prétexte pour ne pas connaître les affres de toute femme confrontée à la violence et elle résout une situation inextricable sans aucune aide. Un peu trop… Pourtant, le plaisir est au rendez-vous. On attend la suite…

Nicolas Béniès.

« L’évadé de Wan Chai », Ian Hamilton, 10/18 grands formats.

La révolte à l’œuvre

DOA – c’est le nom de l’auteur – a construit un curieux personnage, « Lynx », apparu dans ce polar unique en son genre, « Citoyens clandestins » qui mettait en scène ces personnages de l’ombre chargés d’infiltrer des organisations terroristes pour défendre… quoi ? Le sujet de ce polar était là dans la perte des valeurs. Faut-il défendre la Nation ? La République ? Et quelle République ? Celle qui permet aux riches de devenir plus riche ? Celle qui ne craint pas le racisme quotidien et s’en sert pour diviser les opposants à sa politique d’austérité ? Toutes questions dont les réponses obligent à s’interroger sur la marche du monde, à comprendre la nécessité de la révolte contre cette société qui ne raisonne que par le dieu profit.

Dans « le serpent aux mille coupures », Lynx connaît une drôle d’aventure. Il tue par hasard, devient preneur d’otages par un mouvement étrange, aux confins du rêve, pour, enfin, essayer de se libérer en tuant les responsables de crimes encore plus odieux, de ces criminels venant du carte de la drogue. Le tout évoluant dans le climat de ce racisme ordinaire opposant un nouveau venu dans les domaines viticoles de Moissac – Omar Petit, ce nom dit déjà toute la haine de ces habitants petit blanc et proches du Front National – et le reste de la population amené comme il se doit par le tenancier du café tabac.

La présence de Lynx permet une sorte de vengeance de l’auteur comme du lecteur. Les racistes seront punis par un concours où les circonstances vont gagner. Mais on sait bien que ce n’est jamais le cas. Les circonstances sont contre la justice… Mais la révolte mouille toutes les pages. Révolte contre cette société qui ne sait que désigner des boucs émissaires aux problème profonds vécus par l’ensemble des populations.

N.B.

« Le serpent aux mille coupures », DOA, Folio/Policier.

Froid finlandais.

James Thompson – qui n’a rien à voir avec Jim, auteur mythique de polar – est un Etatsunien vivant en Finlande. Là-bas le froid sévit quasiment toute l’année. Le premier opus des aventures de l’inspecteur Kari Vaara – marié à une étatsunienne, Kate – nous entraînait dans une enquête sur un meurtre aux allures racistes d’une comédienne noire, « La nuit glaciale de Kaamos » – roman dont nous avons parlé – dans la campagne finlandaise dans un froid plus que mortel. Les températures affichées nous faisaient ressentir la glaciation pour une histoire d’une mélancolie profonde.

Pour ce « Meurtre en hiver polaire », l’Inspecteur a été nommé à Helsinki – la Capitale. Il fait moins froide mais il souffre d’une profonde migraine alors que sa femme, enceinte, va bientôt accoucher. Son travail principal porte sur… l’histoire ignorée de la Finlande pendant la seconde guerre mondiale. La haine des Finlandais contre les Russes est proverbiale conduisant à prendre parti pour le nazisme des dirigeants de ce pays. Histoire occultée pour construire des mythes. S’éclairent les oppositions entre son père et son grand-père maternel, qu’il n’avait jamais comprise auparavant. Histoires de familles donc, mais aussi histoires d’Histoire. Faut-il condamner les exécutants de ces tortures ? Les juger ? Comment « faire » de l’Histoire ?

Dans le même temps de cette enquête, il reçoit la famille américaine de Kate. Là encore, ces histoires se mêlent pour dresser une sorte de portrait de notre monde moderne et barbare. Le frère se drogue, la sœur s’est réfugié dans la religion… Comment s’en sortir ? Par une tumeur au cerveau.

Un livre d’Histoire qui ne dit pas son nom à l’intérieur d’une intrigue qui se démultiplie à l’infini. L’inspecteur et la Finlande nous sont devenus indispensables.

N.B.

« Meurtre en hiver polaire », James Thompson, 10/18

Histoire de la violence.

Un sujet traité et souvent maltraité – sans jeux de mots. La violence reste cachée sauf dans les milieux appelés par une faute de langage, « défavorisés ». Lorsqu’une altercation vient aux oreilles des tribunaux, la justice s’émeut et condamne durement en poussant des cris d’horreur. Mais la violence est présente dans tous les milieux. Dans la pénombre des maisons bourgeoises des drames se nouent. Les femmes en sont le plus souvent les victimes.

Jean-Luc Bizien, pour cette troisième « enquête » de son héros double, l’aliéniste Simon Bloomberg et Sarah Englewood, sa gouvernante, met en scène cette violence à l’intérieur d’un couple. Violence qui provient d’une profonde impuissance. Impuissance de l’homme « fou d’amour » tout en comprenant qu’il est trompé. Le lecteur ne met pas longtemps à s’en apercevoir. Il comprend l’émoi de l’aliéniste devant tant de beauté, affichage d’une incapacité à aimer autre chose que soi-même.

L’environnement, c’est le Paris de cette fin du 19e siècle comme pour les deux précédentes « enquêtes ». Les mêmes personnages se retrouvent. Pour les appréhender, il faut avoir lu au moins « La chambre mortuaire » publiée dans la même collection, sinon « La main de gloire », deuxième opus de cette série. En même temps, les rapports amoureux – ou de domination ? – sont décrits. Ils unissent plusieurs de ces personnages sans que personne ne puisse ni les rompre ni les mener jusqu’à un bout. Indécision qui fait le prix de ce curieux suspense. « Vienne la nuit, sonne l’heure » fait bien sur référence à un poème d’Apollinaire qui se poursuit « Les jours s’en vont, je demeure ». « Sous le pont Mirabeau coule la Seine… » est une sorte d’écho de Verlaine et de Freud ? -, pour comprendre la mélancolie qui étreint les personnes qui se savent trompés et ne savent comment traiter ce problème. Thèse intéressante. Qui permet à l’auteur d’échapper à son intrigue.

N.B.

« Vienne la nuit, sonne l’heure », Jean-Luc Bizien, 10/18.