Le Souffle bleu, recension de Didier Epsztajn

Une note à la sonorité bleutée, une note étouffée qui dit plus qu’il ne semble

D’abord feuilleter ce bel objet et lire au hasard quelques titres de chapitre.

Puis écouter une ou deux fois le CD pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, les autres, sauront choisir les écoutes adéquates et les compléments possibles. J’ai pour ma part un faible pour Fable of Faubus de Mingus, et particulièrement, pour la version du 19 avril 1964 au théâtre des Champs Élysées.

Enfin, commencer à lire l’ouvrage, lentement et se laisser aller. L’exposition de l’auteur est en adéquation avec son sujet, solo, chorus, reprise des thèmes, déplacements dans le temps. Au fil des pages à la musique s’ajoute des films (dont le très beau Shadows de John Cassavettes et l’improbable Ascenceur pour l’échafaud de Louis Malle), les modifications de mode de vie, les conditions sociales dont le racisme qui tue, la drogue qui aide à vivre et qui détruit, l’épaisseur des contraintes économiques. Sans oublier les lieux de concert.

1959 « En cette année 1959, ce n’est pas seulement l’amour qui est à vendre mais aussi l’eau du bain., le bébé et toute la salle de bain, sans compter la peu de l’ours ! »

1959 c’est l’année de toutes les ruptures, pour reprendre un titre de chapitre de l’auteur, qui permettent de se projeter dans le demain. A l’inverse, Nicolas Béniès souligne « Peut-être que notre époque, ce début du XXIe siècle, souffre de ne plus voir mourir les formes anciennes. Elles se conservent, donnant une vision d’un passé décomposé/recomposé qui bouche l’avenir, ne permet plus de se projeter dans le futur. »

1959 c’est l’année de ce So What, de ce Kind of Blue,de ce souffle bleu, de cette mort et renaissance du jazz, analysé dans le livre.

Le jazz c’est aussi et surtout l’oralité non réductible aux notes écrites, c’est le souffle du blues, l’instant de l’improvisation, la combinaison de temps et des instruments.

« Le jazz joue son rôle de défricheur. Le XXe siècle est rythmé par le jazz, par ses révolutions esthétiques. Sa mémoire est celle des luttes, des combats pour les droits civiques, pour la reconnaissance de l’humanité des êtres humains. Le jazz fait partie de la réaction de cette partie de la population des États-Unis considérée, à cause de la couleur de leur peau, comme des sous-hommes. »

Et ré-écouter le CD un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ; celui-ci, ceux évoqués par Nicolas Béniès et des centaines d’autres…. et s’ouvrir aux jazz les plus récents, aux musiques les plus nouvelles. En prêtant attention à « Il faut se méfier, disait Adorno à juste raison, de la musique qui nous plaît ». Musique et liberté « Le jazz est synonyme de liberté. Il ne peut s’enfermer. Sinon il n’existe plus. C’est une autre musique. Appelée d’ascenseur… »

Le CD n’est pas mort, quoiqu’en disent les majors désertant le terrain et heureusement remplacés par de multiples petits éditeurs qui nous donnent à découvrir, encore et encore « Le disque de jazz – comme le film – combine cette contradiction d’être à la fois œuvre d’art – pour la meilleure part – ou de culture ET marchandise dont la caractéristique essentielle est d’être reproductible à l’infini. Ainsi le moment enregistré, irréductible, s’expliquant par les conditions précises dans lesquelles la séance a eu lieu devient, par la grâce du disque, marchandise. »

Nicolas Béniès : Le souffle bleu

1959 : le jazz bascule

C&F Editions, Caen 2011, 155 pages et un Cd, 25 euros

Didier Epsztajn

http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/