Petit voyage à travers quelques nouveautés en jazz, décembre 2011

Passage en revue de ceux et celles qui ont l’année 2011

La révélation de l’année, un batteur, Benjamin Sanz sur le label créé par Archie Shepp, ArchieBall, avec un titre qui crie la volonté d’aller voir ailleurs si le jazz n’y est pas, « Mutation majeure ». Il est en compagnie de Rasul Siddik, superbe trompettiste, Boris Blanchet au saxophone ténor, Matthieu Jérôme au piano et Idriss Mlanao à la contrebasse et ce quintet fait la preuve qu’il est possible de créer en se référant à toute la tradition du jazz, à toute son histoire mouvementée. Benjamin Sanz sait se servir de tous les apports de cet instrument emblématique du jazz. Il tient à la fois de Billy Higgins et de Ed Blackwell soit la quintessence de toute la batterie moderne. Une énergie à soulever les corps et les âmes. Un grand moment.

Vince Mendoza est compositeur, arrangeur et chef d’orchestre qui s’était fait remarquer ces dernières années pour ses arrangements pour Björk, Sting, Joni Mitchell… Il n’avait pas enregistré d’albums depuis 1997 (« Epiphany »). Il revient avec ce « Nights on Earth » pour lequel il a réuni un all stars composé de vieilles connaissances (Peter Erskine, John Abercrombie, John Scofield…) et de nouveaux venus comme le trompettiste Ambrose Akinmusire, le saxophoniste Stéphane Guillaume… et il mérite toujours la même appréciation, de bonnes idées, une volonté de son d’ensemble mais le tout est un peu mièvre. Il manque de force de conviction…

Yann Viet, guitaristes, a voulu transformer les chansons françaises en autant de standards revus et corrigés avec une dose de sa propre jeunesse. Pour ce faire, il a réuni un trio, Marc Eliard aux basses et Sylvain Gontard aux trompettes, le « Yann Viet Free Songs Trio » pour cet album « La Javanaise ». Le thème de Gainsbourg – toujours à la mode – ouvre cet album qui, sous des dehors propre sur lui cache une volonté de transformer ces chansons très connues. Une réussite. Un label inconnu : « Eklyss ».

Restons dans les guitaristes pour l’un de ses plus grands virtuoses, Sylvain Luc pour « Organic » en trio, André Ceccarelli à la batterie et Thierry Eliez au piano et keyboard pour Dreyfus-Jazz qui s’est mis en quatre pour favoriser l’œil en proposant une très belle pochette. Ces trois là se connaissent bien. Trop peut-être. La surprise ne fait pas partie du programme. Mais chacun sait faire la preuve qu’il est l’un des meilleurs sur son instrument. Un peu lassant quelque fois.

Pierrick Pedron est tombé tout petit dans le saxophone alto de Charlie Parker. Et le Breton est devenu l’un des tenants du bebop le plus combatif. Un concert permet de s’en rendre compte. Pour « Cheerleaders », il a choisi de composer – dans tous les sens du terme – une sorte de collage mêlant toutes ses influences, de la fanfare au rock et à la pop en passant par la balloche. Le résultat ? Des moments réellement réussis où sa fougue et celle de ses compagnons – Chris de Pauw à la guitare, Laurent Coq au piano, Fender Rhodes, keyboards, Vincent Artaud à la basse, Franck Agulhon et Fabrice Moreau à la batterie – réussit à nous transporter, d’autres beaucoup moins qui laisse l’auditeur un peu à la traîne.

Jacek Kochan est polonais et batteur avec comme référence un Philly Joe Jones qui aurait entendu Tony Williams pour fixer les esprits connaisseur(e)s. Son trio, Dominic Wania, pianiste dans la lignée de Keith Jarrett et de quelques autres et Andrzej Swies à la basse, s’inspire de tous les grands trios d’hier et d’aujourd’hui. Et ça fonctionne. Il possède, ce trio, c’est plus rare qu’on ne le pense, la pulsation du jazz. Il s’est adjoint pour ce premier opus – à notre connaissance – rien de moins que le saxophoniste ténor George Garzone qui entraîne tout ce monde en faisant une nouvelle fois la preuve qu’il est un grand improvisateur. « Filing the profile », un titre qui fait penser à une sorte de CV…

Chris Potter est l’un des saxophonistes ténors qui comptent aujourd’hui dans les mondes du jazz. Pourquoi est-il allé se fourrer dans cette galère ? « Transatlantic » parce qu’il rencontre le DR Big Band, une rencontre qui ne fonctionne pas totalement. Non pas que ses compostions ne retiennent l’attention, ni son jeu mais l’ensemble peine à convaincre. Une sorte d’exercice d’école.

Brady Winterstein est guitariste de jazz manouche et tout ou presque est dit. Si vous aimez ce style, vous vous précipiterez sur cet album Plus Loin Music « Happy Together » – et c’est l’impression qu’ils donnent -, sinon vous hésiterez. Une musique qui tourne un peu sur elle-même, tellement balisée qu’il ne reste que la virtuosité pour faire passer le tout. Brady n’en manque pas mais, en reprenant un thème très peu joué de Django Reinhardt, « Flèche d’or » – avec comme invité le bassiste Dominique Di Piazza – il fait la preuve qu’il peut viser un renouvellement. Flèche d’or est l’une des premières compositions en modal… Django avait un style d’avance…

Bill Evans, le saxophoniste, a fait ses premières armes avec Miles Davis. Il est resté accro à la « fusion », ce style de jazz entre rock, pop et le reste. « The other side of something », l’autre face de quelque chose, montre cette fidélité, avec le concours de Bela Fleck, banjo qui, un temps avait défrayé la chronique et Richard Bona, bassiste, à cheval entre tous les genres musicaux. Un peu répétitif mais quand on aime…

Restons chez les saxophonistes pour avoir une idée de tous les styles. Harry Allen fait partie de la grande tradition classique de l’instrument, entre Coleman Hawkins et Lester Young avec un zeste de Paul Gonsalves, le saxophoniste ténor de l’orchestre du Duke (Ellington). Une thématique de la rivière – une rivière nord américaine, un fleuve chez nous –, « Rhythm on the river », sorte d’hommage au temps qui passe et à ceux et celles qui l’ont vu passer. Une musique qui, pour être classique, est une ode au jazz. Il est difficile de s’en passer.

Une chanteuse « classique » elle aussi, Gilda Solve qui a décidé de rendre hommage à une de nos chanteuses préférées que tous les amateur(e)s de surprise partie, d’un certain âge donc, connaissent bien à cause de sa version de « Fever », Peggy Lee. Elle s’est entourée de musiciens français qui connaissent bien l’univers de Peggy Lee. Outre Patrice Galas, son pianiste habituel, Claude Tissendier vient prêter son jeu de saxophoniste et clarinettiste, Jean-Pierre Rébillard sa basse, Sylvain Glevarec sa connaissance des mondes de Gene Krupa et Gilles Réa sa guitare pour un album qui se laisse écouter pour évoquer les mânes de Peggy Lee sans trop faire de bruit.

Un groupe qui s’appelle « Les traînes savates » ne peut pas être fondamentalement mauvais. Si l’album a pris pour titre « Coup de savate », on se dit qu’il devrait se passer quelque chose. Et on n’est pas déçu. L’auditeur est bousculé à coup de funk, de références aux films noirs – Henry Mancini revu et corrigé par les « Soul Brothers » -, aux jazz dans tous ses états et au monde violent et barbare d’aujourd’hui que l’on dit « moderne ». Une énergie vitale qui redonne à la musique sa dimension de révolte. Un peu répétitif faute de trouver de nouvelles sources d’inspiration autre part que dans la musique de James Brown et de Maceo Parker.

Ray Charles ? Un nouveau venu ? Non, bien sur. Une réédition Frémeaux et associés qui propose un coffret de trois CD, deux pour les années r’n’b et un pour le jazzman, pianiste influencé par Nat King Cole et par le blues comme le gospel. Pianiste de jazz à part entière. « Ray Charles, Brother Ray : The Genius », titre repris d’un album paru chez Atlantic, un label indépendant dans les années 60 des frères Ertegun. La voix de Ray n’a rien perdu de sa force, ni sa musique de sa capacité à nous émouvoir et à faire danser. On retiendra le CD3 pour découvrir le pianiste dans d’autres contextes avec son saxophoniste ténor/flûtiste David Newman ou… Milt Jackson. Le livret de Jean Buzelin, aussi responsable de la sélection – il en est une multitude d’autres – donne tous les renseignements nécessaires comme les autres.

Le même éditeur, Frémeaux et associés, a construit, avec l’aide de Alain Gerber, une collection « The Quintessence ». Dernier opus en date, « Art Blakey and the Jazz Messengers, New York – Paris, 1947 – 1959 ». Une musique à (re)découvrir, une musique nécessaire qui ne se laisse pas oublier, de même que ses musiciens. Une manière de donner une musique à ces fêtes de fin d’année créatrice d’un curieux blues, comme si toutes les angoisses s’y étaient données rendez-vous.

Nicolas BENIES.

Benjamin Sanz, « Mutation majeure », ArchieBall/Harmonia Mundi ; Vince Mendoza, « Nights on Earth », art of groove/Sphinx distribution ; Yann Viet Free Songs Trio, « La javanaise », Eklyss ; Sylvain Luc, « Organic », Dreyfus-Jazz ; Pierrick Pédron, « Cheerleaders », ACT/Harmonia Mundi ; Jacek Kochan, « Filing the profile », Intuition records/Intégrale distribution ; Chris Potter and the DR Big Band, « Transatlantic », Red Dot Music/Intégrale ; Brady Winterstein, « Happy Together », Plus Loin Music/Harmonia Mundi ; Bill Evans, « The other Side of Something », Intuition Records/Intégrale ; Harry Allen, « Rhythm on the river », Challenge/Intégrale ; Gilda Solve, « Sings the Peggy Lee Songbook », Jazz Music Shop Production ; Les traîne-savates, « Coup de savate », auto production, à voir sur le net ; Ray Charles « Brother Ray : the Genius », Frémeaux et associés ; Art Blakey and the jazz messengers, Frémeaux et associés/The Quintessence.